La colline et la rizière : urbanisme pré-colonial à Antananarivo

La ville d’Antananarivo, à Madagascar, figure parmi l’une des seules capitales africaines à préexister à la colonisation. Développée à partir du XVIIème siècle sous le souverain Andrianjaka, elle conserve son statut sous l’administration française (1896 – 1960). La région centrale des Hauts-Plateaux concentre depuis le XIVème siècle les plus importants foyers de peuplement de l’île. Le lieu de fondation de la capitale relève d’un choix stratégique, sur la crête de la plus haute colline, à environ 1500m d’altitude. Sa position lui confère des avantages militaires et symboliques, protégée par des falaises abruptes et dominant la plaine du Betsimitatatra qui l’entoure.

Antananarivo au XIXème siècle
The Illustrated London News, 1863

Développement urbain et société de castes

La ville se développe progressivement, du sommet vers les flancs de colline, autour de l’enceinte royale constituant un point de repère central dans le paysage. Avant la planification urbaine que le colonisateur français importera par la suite, l’organisation de la ville pré-coloniale est dictée par l’ordre social monarchique et les croyances religieuses. L’implantation spatiale et topographique des habitations reflète le système hiérarchique de castes existant. Il définit trois statuts possibles pour les tananariviens : les nobles (Andriana), installés à proximité de l’enceinte royale ; les hommes libres (Hova), habitant sur les flancs de colline ; et les esclaves (Andevo), assignés aux quartiers les plus bas.

Les constructions sont essentiellement végétales, jusqu’au XIXème siècle, lorsque les  missionnaires européens introduisent les techniques de construction en terre cuite. L’orientation des constructions respecte la cosmologie malgache, dans un axe nord-sud, privilégiant le versant ouest pour la construction et la direction des ouvertures. L’ensemble forme un paysage architectural remarquablement homogène. Signe du développement de la ville, les espaces publics se développent pour accueillir de multiples usages. On peut citer le marché hebdomadaire du Zoma (se traduit par vendredi en français), créé à la fin du 18ème siècle. Il se tient chaque vendredi et attire des chalands de toute la région. C. Fournet-Guérin relève la place structurante du marché dans la construction de l’identité citadine d’Antananarivo et dans la confirmation de son statut de capitale : « c’est le lieu de rencontre, de discussion, de règlement de conflits et d’annonce des décisions royales » (1).

Nourrir la ville : l’aménagement de la plaine rizicole

L’une des raisons expliquant la présence de peuplements anciens dans la région centrale de Madagascar est le développement précoce de la riziculture. Les critères défensif et symbolique ne suffisent pas à justifier le choix du site d’implantation d’Antananarivo. Sa fondation est indissociable de la proximité de la plaine du Betsimitatatra et ses aptitudes agricoles. Dans une perspective d’autonomie de la cité, l’objectif du souverain est de parvenir à l’autosuffisance alimentaire. Les marécages de la plaine sont aménagés à partir de la fin du XVIIème siècle pour permettre une mise en valeur rizicole. Des digues protectrices sont construites au bord des rivières, ainsi qu’un système de canaux d’irrigation et de drainage (2). A cause des risques d’inondation, la plaine n’est pas habitée mais représente la ressource productive principale de la ville. Ces deux entités paysagères, la colline et la rizière, constituent les éléments clés pour la compréhension de l’organisation d’Antananarivo : le premier, situé en hauteur, est urbanisé et concentre les fonctions politiques et économiques tandis que le second est rural, dans la plaine, dédié à la production nourricière.

« Le lien entre le pouvoir politique et le contrôle de l’organisation matérielle et sociale de l’agriculture est très fort (…) il constitue un autre facteur permettant d’éclairer la nature des relations extraordinairement fortes entre la ville et ses campagnes environnantes. » (3)

Quel héritage de la ville pré-coloniale ?

A l’arrivée des français, Antananarivo compte entre 10 000 et 15 000 habitants. La transformation qu’elle connaît au cours du XXème siècle met à mal l’équilibre entre ville et campagne. La vision expansionniste du colonisateur conduit à urbaniser la plaine à coups de remblais, grignotant petit à petit les terres agricoles. Le développement urbain s’accélère après l’indépendance et l’aire urbaine de la ville compte aujourd’hui plus de 2 millions d’habitants. Lors de la saison des pluies, les inondations causent chaque année de nombreux dégâts dans la plaine, où le remblayage des rizières a entraîné une augmentation de 50% de la surface bâtie en 15 ans (2003-2018) (4).

L’urbanisation galopante d’Antananarivo a-t-elle signé l’arrêt de mort de l’agriculture urbaine ?

Tanya Sam Ming

Les rizières de la plaine au début du XXème siècle
Musée de la photographie de Madagascar

(1) FOURNET-GUERIN Catherine. Vivre à Tananarive. Géographie du changement dans la capitale malgache. Ed. Karthala, 2007. p.34

(2) DABAT M-H., AUBRY C., RAMAMONJISOA J. « Agriculture urbaine et gestion durable de l’espace à Antananarivo ». Economie rurale, 294-295, 2006, p.57-73

(3) Ibidem 1 p.31

(4) ROUHANA S., MATERA M., GANDINI C. « Antananarivo : une ville pour qui ? ». Banque Mondiale Blogs, 09 février 2018 

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