Les villes de la fôret amazonienne : urbanisme « colonial » et conséquences pour le développement

La plupart des villes d’Amazonie brésilienne ont été créées à l’époque coloniale, sur les bases des Calbocos (villages amérindiens auxquels les missions jésuites ont apportés certains services sociaux), pour être des centres de peuplement mais aussi très fréquemment dans un but économique, et par la suite pour des raisons militaires et administratives. Ces villes étaient quasiment toutes localisées à  la confluence des cours d’eau, alors seuls axes de transport et de communication.  Ainsi, religieux, explorateurs, commerçants, agents administratifs, agriculteurs,  ont peu à peu construit un tissu urbain amazonien, qui avait pour objectif initial de développer un territoire, en s’appuyant sur les populations amérindiennes locales et la ressource forestière naturelle. Ces villes ont été construites à l’image du monde coloniale, souvent dans des logiques  opportunistes  liées à un moment historique particulier, de manière peu contrôlée,  mais néanmoins toujours dans une certaine complémentarité avec une  nature omniprésente et contraignante.  L’importance de l’analyse géographique, mais aussi sociale et  économique des villes dans un milieu naturel aussi fort et riche que la forêt amazonienne semble être un pré-requis à leur développement durable, mais n’a été que peu et tardivement pris en compte lors de leur conception. Les conséquences négatives de ce manque d’analyse et de  vision prospective dans le développement urbain sont nombreuses, et  malheureusement plus difficiles à corriger dans un environnement aussi contraignant que la forêt vierge.  

La naissance des villes amazoniennes : des villes pensées pour une fonction spécifique, l’exploitation forestière

Monument commémoratif des soldats du caoutchouc, Altamira, Pará. Guillaume Leturcq, 2015.

Le passage des bourg, point de vente, d’approvisionnement et de relais entre l’espace colonisé et humanisé et l’espace à exploiter, aux villes de plusieurs milliers d’habitant est largement du, dans un premier temps au mission jésuites, qui ont apporté,  à l’échelle locale, une offre de services sociaux (école et poste de santé), puis dans un second temps à des évènements ponctuels, comme la volonté coloniale de peupler les terres habitées,  l’exploitation forestière  puis la logique militaire et administrative. Le boom de la demande en caoutchouc au XIXe siècle, a joué un rôle prépondérant dans la création du tissu urbain amazonien, et à participer notamment à l’organisation de filières le long du réseau fluvial, avec des pôles permettant de collecter et de transporter le caoutchouc jusqu’aux ports de Manaus et de Belém d’où il sera exporté. (1) L’urbanisme remplit alors une fonction très ancrée dans la réalité de l’époque, celle de l’exploitation de l’hévéa. La ville est développée dans une logique d’exploitation, et donc de manière fonctionnelle et ségrégationniste. Il a en effet aménagé au mieux les quartiers réservés aux diverses activités (exploitation forestière et par la suite agricole) et à la résidence des Européens en essayant de tirer le meilleur parti des sites (élévation de relief bien aérée, vastes terrains assainis, aussi bien exposés que possible, qui rendent possible un urbanisme ordonné et spacieux) et prévoyait l’implantation des quartiers « indigènes », sur des sites souvent  moins favorables, et éloigné du centre d’activité et du quartier résidentiel européen . Même si  elle veillait à maîtriser leur développement grâce à des plans qui traçaient la voirie, dessinaient les parcelles des concessions d’habitation, voire même des lotissements d’habitations pour le logement de la main-d’œuvre locale (financé par les sociétés privé) et intégraient des  postes d’eau et l’éclairage l’éclairage public, l’Administration coloniale laissait souvent soin aux « indigènes » de construire leurs quartiers.(1)  

L’urbanisation de ces villes était donc bien régie par des règles mais la ville était pensée comme un système productif, répondant à une forte demande mercantile, et non pas comme un système favorisant un développement harmonieux de la vie, le plus grand bonheur au plus grand nombre . Cet « urbanisme colonial » a donc organisé les villes de manières assez sommaires, en zoning fonctionnel et hygiéniste, avec d’un coté les zones industrielles, d’un autre les zones résidentielles riches et d’un autre encore celles pour le pauvres. Il a très vite était le théâtre de la ségrégation, l’insalubrité et les épidémies etkk a posé des bases trop fragiles pour le développement  qu’elles devaient connaitre par la suite.

Un développement urbain pénalisé par les choix antérieurs de l’urbanisme colonial

Iquitos, Ville du boom du caoutchouc sur l’Amazone – vincentcelineamsud.ever-blog

Tout d’abord, la localisation même des villes, qui n’avait pas pris en compte leurs potentialités de croissance,  apparait comme une limite au développement des villes amazoniennes. D’un site plus ou moins favorable (promontoire rocheux, banc de sable, plate-forme), la ville déborde sur des terrains marécageux et ne peut s’étendre que sur des sols mouillés. Dans certaines conditions topographiques et de sols (pentes formées de roches fragiles), l’implantation des constructions, des routes, sans protection du site préalable, peut provoquer des phénomènes d’érosion dont la progression rapide va jusqu’à menacer les zones construites. Par ailleurs, certains caractères du milieu naturel (agressivité des eaux chaudes et des micro-organismes)  peuvent accélérer l’usure des équipements et des constructions,  et cela n’avait pas été pris en compte lors de la conception de ces villes, auxquelles on avait simplement transféré  les équipements et les matériaux des pays développés.(2)  On voit donc, une fois encore, que la planification de ces villes amazoniennes, en faisant fi des besoins d’étude et d’analyse du territoire, particulièrement important dans un tel milieu et en ayant une vision pas assez prospective, empêche la ville de se développer durablement.  Par ailleurs, l’organisation de l’espace urbain  manque d’organisation rationnelle et volontariste, conséquence de la carence des pouvoirs publics, du manque d’un plan global d’aménagement vigoureusement appliqué qui laisse l’initiative privée agir d’une manière désordonnée et trop empirique.  (2) Les promesses non tenues par les gouvernements lors de l’aménagement du territoire amazonien pour l’extraction du caoutchouc (accès à la propriété et indemnisations) ont pour conséquence aujourd’hui est la désorganisation du système foncier amazonien, notamment au Pará avec de nombreux conflits agraires.(3)

Un urbanisme encore plus traditionnel pour développer durablement les villes de l’Amazonie des fleuves

Cependant, alors que la technologie permet désormais de maîtriser cette nature à laquelle il fallait se soumettre, la planification et l’urbanisme « moderne », mis en place par l’Etat Brésilien à partir du XXe siècle, avec la construction de la route Transamazonienne et des politiques de colonisation qui l’accompagnent n’apparaissent pas comme les stratégies d’aménagement les plus adaptées . En effet,  à l’heure où la préservation de l’environnement est devenue une priorité et où les enjeux de déforestation sont centraux (du moins avant l’arrivée de Bolsonaro), les villes amazoniennes qui semblent offrir le modèle le plus durable sont paradoxalement celles qui sont le moins planifiées et les plus traditionnelles.

São Gabriel da Cachoeira, un modèle discontinu, plus traditionnel mais plus aussi durable – Notícias Barcelos na NET

La ville de São Gabriel da Cachoeira, située sur le cours supérieur du haut Rio Negro, est un exemple remarquable de cette dynamique apparemment paradoxale. Située aux portes d’un vaste ensemble de Terres Indigènes, elle a connu une forte croissance dans les vingt dernières années, notamment sous l’influence des politiques visant au développement économique de la région. Or, à la différence de nombreux autres noyaux urbains d’Amazonie, elle ne s’accompagne pas déboisements massifs autour de la ville. Habitée à 80 % par des Amérindiens, le développement de la ville associe les ressources de la ville et les ressources rurales,  traditionnellement produites par la technique agricole de l’abattis-brûlis. Entre ville et forêt, ils utilisent l’espace péri-urbain, pour continuer leur activité agricole, et cherchent en même temps à exploiter certains avantages de la ville, comme l’accès à la scolarité ou aux emplois rémunérés. (4)

Carte foncière de São Gabriel da Cachoeira, un modèle discontinu

(1) Recomposition des territoires en Amazonie brésilienne Recomposição dos territórios na Amazônia Brasileira Recomposition of Brazilian Amazonian territories. Guillaume Leturcq

(2) La ville tropicale et ses problèmes d’environnement Les Cahiers d’Outre-Mer.  Jean-Claude GIACOTTINO

(3) Amazonie Chapitre 18. La question urbaine en Amazonie au tournant du 2e millénaire L’Amazonie. Un demi-siècle après la colonisation. Agnès T. Serre et Edna Castro

(4)L’urbanisation provoque-t-elle la déforestation en Amazonie ? Innovations territoriales et agricoles dans le nord-ouest Amazonien (Brésil) Annales de géographie, 2009/3 (n° 667) Ludivine Eloy et François-Michel Le Tourneau

 

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