La ville de Yazd en Iran est connue aujourd’hui comme l’une des plus anciennes de son pays (environ 3000 ans av. J.-C.). Son centre ancien compacte et dense est né dans un territoire hostile, en plein désert. Son climat est aride et marqué par des vents importants, un temps sec, des températures froides en hiver (autour de 5 degrés) et chaudes en été (souvent plus de 30 degrés, allant jusque 40), et une forte absence de précipitations. Située en territoire Perse, il s’agit une ville où plusieurs religions se sont côtoyées au fil de l’histoire et se côtoient encore aujourd’hui (l’islam, le judaïsme et le zoroastrisme). Comme un certain nombre de villes dans des géographies similaires, la ville de Yazd a su déployer très tôt dans son histoire des outils pour cultiver son territoire, acheminer l’eau, rafraichir les intérieurs, etc. Ces outils ont été reconnus dernièrement et la ville de Yazd est entrée au patrimoine Mondial de l’UNESCO en 2017.
Pour comprendre la structure de cette ville traditionnelle compacte et les outils qu’elle a développé, il semble pertinent de venir l’interroger à deux échelles: celle de l’habitation, des principes qui en découlent, et celle de la ville. Ces deux échelles sont fortement liées dans la ville traditionnelle de Yazd.
L’échelle de l’habitat, une tradition du plan
Le caractère de la ville ancien intramuros de Yazd est avant tout fortement ancré dans la morphologie de son habitat, comme forme traditionnelle. Cet habitat est tout d’abord défini par son plan: ce sont des maisons aux murs aveugles et aux ouvertures tournées vers la cour intérieure. Cette cour rectangulaire est le seul espace extérieur de l’habitation. La parcelle est en effet très construite, en moyenne à 70%1 de la surface totale. La porte d’entrée est discrète et présente très peu d’ornements, tout comme les murs extérieurs. Les ornementations sont destinées à l’intérieur et à la cour. Les maisons sont le plus souvent construites de plein pied, en brique d’argile sèche (adobe, souvent issues de l’argile de la parcelle), avec une ou plusieurs pièces en sous sol plus fraiches, afin de pouvoir s’y rafraichir l’été. Les espaces donnent sur la cour intérieure et sont réchauffés ou rafraichis en fonction de leur exposition et des saisons. Les constructions sont de plein pied pour des raisons techniques mais aussi pour laisser la lumière entrer dans la cour et chauffer les espaces l’hiver. On peut observer une migration intérieure des habitants en fonction des températures, afin de parvenir à un confort thermique2. Plusieurs familles vivaient dans ces habitations, ayant un lien de parenté. Elles vivaient dans des pièces différentes et partageaient la cours et les espaces communs.

International Journal of Sustainable Built Environment depuis K. Haji-Qassemi, Ganjnameh: cyclopaedia of Iranian Islamic architecture
La forte ingéniosité des habitations de Yazd réside dans leurs tours à vents, bâdgirs. Elles permettent une ventilation naturelle de l’habitacle et viennent capter le vent frais extérieur pour le faire descendre dans les pièces à vivre et rafraîchir les espaces. On retrouve de nouveau cette quête du confort thermique évoqué plus haut. Ce système ingénieux est basé sur le principe de densité de l’air. L’air capté par la tour est envoyé vers les pieces à vivre et le sous sol, l’air entrant est ainsi frais et dense. Il se réchauffe ensuite au contact de l’air ambiant et perd de sa densité. Etant moins dense, il remonte en est capté par un autre conduit, parallèle au premier, qui le mène vers l’extérieur. Ce système est parfois couplé à l’installation d’un bassin au pied de la tour, afin d’accentuer ce sentiment de fraicheur lors du passage de l’air extérieur.

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Des principes structurants aux multiples influences
La ville de Yazd a longtemps été sous la religion zoroastrisme, une religion monothéiste présente en territoire Perse depuis le VII ème siècle av J-C et qui a été adoptée comme religion officielle au III ème siècle ap J-C. Les conquêtes arabes du VII ème siècle vont apporter une nouvelle religion au territoire, mais cette conquête sera plus nuancée dans la région de Yazd que dans le reste du territoire Perse: la religion zoroastrisme va persister et a ainsi cohabité avec l’islam naissant.
Les habitations de Yazd sont soumises à des principes qui émergent de ces deux influences religieuses majeures, valant comme règles qui transparaissent dans les tissus. Tout d’abord, cinq principes dans l’architecture perse ont été définis : l’importance de conserver l’échelle humaine, de chercher l’efficacité dans la construction, de prendre en compte les principes éthiques, techniques et structurels lors de la construction, de développer une autosuffisance et de conserver l’introversion du bâtiment3. Ces principes se mêlent aux règles arabes diffusées à partir du VII ème siècle ap JC sur ce territoire. Ces règles imposent des principes comme le respect de l’intimité et du privé, en évitant tout contact visuel entre deux intérieurs différents, l’attention portée à la non dévalorisation de ses voisins, au droit de densifier sa parcelle et au devoir de préserver des servitudes de l’ilot4. Ces tissus sont ainsi issus de principes de plusieurs influences qui génèrent cette forme urbaine compacte, intrinsèquement liée à l’habitat et la technique.
Le tissu urbain comme résultante, mais la ville comme technicienne de l’eau et de l’air
A l’échelle de la ville, le tissu est fortement impacté par la morphologie de l’habitat. Les ruelles étroites aux murs lisses cachant des habitations denses et intimes développent un tissu serré et ombragé caractéristique. Par ailleurs, la ville ancienne ne propose pas de mixité fonctionnelle forte, les bazars et équipements religieux sont éparpillées dans les quartiers et créent des nœuds urbains, le reste du tissu contient des habitations. La ville est contenue à l’intérieur de remparts, les limites de la ville de Yazd sont ainsi très franches.

Le vent est très impactant à l’échelle de la ville. Les habitations ont orienté le côté le plus long de leur cour à 30° par rapport au nord5, dans le sens des aiguilles d’une montre, et le vent dans la région va du nord ouest vers le sud est6. De cette manière il vient buter contre les bâtiments, perdre de sa vitesse et s’engouffrer avec une intensité douce dans les passages et ruelles. Ce système permet d’avoir un vent moins fort dans les rues tout en permettant de rafraichir la température en été. De plus, la ville fortifiée permet de stopper les vents forts du désert et de limiter l’impact des tempêtes de sable. La morphologie des bâtiments très peu hauts à toits plats permet également au vent de pas s’engouffrer violemment dans les ruelles. L’ensemble de la ville est ainsi composée afin d’épouser cette contrainte et en faire un outil l’été.
Le fort investissement de la ville de Yazd dans des équipements d’eau a aussi été structurant dans son développement. Divers outils ont été développés. On peut notamment mentionner les quanat qui sont des dispositifs permettant d’aller chercher l’eau dans les nappes phréatiques souterraines très présentes sur le territoire et de la remonter en surface. Elle est ensuite l’acheminée à la fois vers les activités d’agriculture mais aussi vers la ville dans les citernes municipales ou directement dans certains bâtiments. Cet acheminement est possible grâce à de longues galeries souterraines de plusieurs kilomètres. Ces réseaux souterrains ont permis à la ville de se développer. Des glacières, yakhtchâl, ont été aussi construites afin de stocker de la glace en hiver et la conserver en été. Ces glacières voutées sont parfois accompagnées de tours à vent et assurent la conservation d’aliments notamment.
La ville traditionnelle de Yazd a su utiliser les ressources naturelles de son territoire et les ingéniosités de l’époque pour construire une ville dense et efficace, adaptée a son climat. Son tissu compacte est fortement issu de la morphologie des habitations et de leurs traditions. Ce schéma a cependant ses limites dès lors que l’exode rural devient important. La ville de Yazd s’est étendue depuis les années 1925, tout d’abord dans des nouveaux quartiers intégrés au centre ville ancien, puis autour. Il a ainsi fallu rechercher de nouveaux outils et de nouvelles règles pour préserver ces vieux quartiers traditionnels tout en les habitant.
Mathilde Saint-Jalmes
Références:
- Pourya Nazemi, Necessity of Urban Transformation in Introverted Historic Textures: The Ancient Persian City of Yazd, Journal of Planning History, Vol. 13(1), 2014, p. 50-67
- Iman Khajehzadeh, Brenda Vale, Fatemeh Yavari, A comparison of the traditional use of court houses in two cities, International Journal of Sustainable Built Environment, vol 5, 2016, p. 470–483
- A. K. S. Lambton, The Qanats of Yazd, The Royal Asiatic Society, Series 3,2,1 ,1992, p. 21-35
- Hamid Azizi Bondarabady & Amir Reza Khavarian-Garmsir, The structural variability of quarters and residential areas in the historical texture of the city of Yazd based on Islamic rules and jurisprudence: a case study of Golchinan quarter, Journal of Urbanism: International Research on Placemaking and Urban Sustainability, 11:2, 2018, p.202-232
- Afsaneh Pourmazaheri, Les temps forts de l’histoire de la province de Yazd, La revue de Théhéran, numéro 74, janvier 2012, http://www.teheran.ir/spip.php?article1523#gsc.tab=0
- Ville historique de Yazd – description, UNESCO, https://whc.unesco.org/fr/list/1544/
1Iman Khajehzadeh, Brenda Vale, Fatemeh Yavari, A comparison of the traditional use of court houses in two cities, International Journal of Sustainable Built Environment, vol 5, 2016, p. 475
2Iman Khajehzadeh, Brenda Vale, Fatemeh Yavari, op. Cit., p.478
3Pourya Nazemi, Necessity of Urban Transformation in Introverted Historic Textures: The Ancient Persian City of Yazd, Journal of Planning History, Vol. 13(1), 2014, p. 55
4Ibidem
5Iman Khajehzadeh, Brenda Vale, Fatemeh Yavari, op. Cit., p. 472
6Outil pour l’estimation du vent : windfinder