De Byblos à Jbeil, la formation d’une ville vieille de 7000 ans

A 40 kilomètres au nord de Beyrouth au Liban, entre la mer et la montagne, se trouve la ville de Byblos. Appelée Goubal ou Gebal dans l’Antiquité, Byblos, puis Gibelet à l’époque médiévale, elle est désormais appelée Jbeil. Elle est l’une des plus anciennes villes du monde, fondée 5000 ans avant notre ère et inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1984.

Elle est l’une des rares villes habitées continuellement depuis 7000 ans et est connue pour être le lieu d’invention de l’alphabet phénicien, ancêtre de tous les alphabets du monde.

Les premières traces d’habitations retrouvées sont celles d’un petit village de pêcheur datant du néolithique. Depuis, dix-sept grandes phases d’habitations se sont succédées sur ce territoire. De la préhistoire, aux conquêtes ottomanes et différentes civilisations s’y sont installées dont les grecs, les romains, les hyksos et les perses. Chacune de ces civilisations  ayant laissé des traces visibles de son passage, il est intéressant de s’attarder sur les différentes époques ayant marqué la ville de Jbeil telle qu’elle est aujourd’hui.  

Dans l’Antiquité, Byblos, mère patrie des phéniciens, était connue pour être un centre religieux très important. Les Egyptiens vénéraient la cité car le culte d’Osiris y était pratiqué. De plus, la ville était un haut port de commerce. Elle recevait du vin et du bois de l’intérieur du pays, et les exportaient par la voie maritime. Les Egyptiens utilisaient Byblos comme escale avant d’exporter le papyrus dans toute la Méditerranée. D’ailleurs, il semblerait que le nom de Byblos vienne du grec ancien βύϐλος (býblos) qui signifie papyrus.

A l’époque néolithique, Byblos s’est développée sur les terrasses d’un promontoire qui avait à sa base deux baies abritées. Ces baies étaient particulièrement importantes car elles permettaient aux différents navires de commerce d’accoster plus facilement. Les fouilles qui eurent lieu ont permis de déduire que la ville fut construite autour d’une source d’eau douce centrale. Au-delà de l’emplacement géographique avantageux entre mer et montagne, cette source d’eau fut probablement le choix qui motiva l’installation de la cité à cet endroit.  En effet, l’eau douce permettait d’approvisionner ceux qui se préparaient à un long voyage et une source proche de ceux qui se préparaient à débarquer était un atout considérable.

Byblos a été fondée à une époque où se développait et se diffusait l’irrigation. Au néolithique (3800 ans avant JC), les premières habitations étaient construites sous forme de huttes à plan circulaire et étaient entourées de potagers dans lesquels étaient cultivées des céréales. Le village était constitué d’une superposition de maisons, les plus récentes se construisant sur les ruines des anciennes. A l’époque suivante (3800-3200 avant JC), le village s’est étendu en recouvrant les anciennes maisons et en s’étalant dans des terres inoccupées. Les maisons indépendantes les unes des autres ont ensuite évolué pour devenir des maisons rectangulaires avec des murs construits en pierre avec une toiture en tronc d’arbres, groupées au sein de grandes enceintes. Le développement de l’outillage en métal a permis d’utiliser, en plus de pierres plates, du bois de la montagne.

A l’époque pré-urbaine (3200-3000 avant JC), l’agglomération était encore rurale car le matériel dont disposaient les habitants, les espaces libres qui séparaient les enceintes et l’absence de remparts ne permettaient pas à la ville de s’organiser. Cependant, des innovations comme l’enterrement des morts en dehors de la cité permirent à Byblos de s’orchestrer sous forme urbaine.

L’époque urbaine, au 3e millénaire avant notre siècle, marque l’avènement de la cité-état, caractérisée par la densification de la ville. Cette dernière était remplie d’habitations et il n’y avait que peu d’espaces libres. Des canalisations furent mises en place pour évacuer les eaux, les habitants circulaient dans des rues étroites et le tertre était couvert de constructions groupées par quartiers. Les rues permettant de regrouper ces quartiers étaient constituées selon un modèle qui s’est répété pendant des siècles. Les premiers remparts autour de la ville furent construits et au centre de la ville se trouvaient de nombreux temples, élevés  sous forme de logis, qui contribuèrent à faire de la ville un haut lieu de culte. A cette époque, le monde oriental connaissait un essor intellectuel considérable et l’une des manifestations de cet essor fut la constitution de villes phéniciennes sous forme urbaine. Les siècles suivants virent une amélioration du cadre de vie des habitants car le commerce avec l’Egypte et autres peuples de Mésopotamie, engendra l’aisance de la ville.

A l’époque pré-amorite, de nouvelles constructions remplacèrent les précédentes et marquèrent pour les cinq siècles suivants l’aspect de Byblos. A cette époque la ville entretenait de très nombreux rapports avec l’Egypte et la cité était très prospère. Toutefois à la fin de cette ère, de nombreuses destructions eurent lieu et un incendie frappa la ville ce qui conduisit à un changement total dans l’organisation urbaine de cette dernière. Les logis à plusieurs chambres furent remplacés par de grandes chambres mono-cellulaires éparpillés partout sur le tertre. Il n’y avait aucune réflexion sur l’économie urbaine. Au temps des amorites[1], de violentes destructions engendrèrent une réorganisation de la ville qui fut totalement reconstruite ainsi que ses remparts. Entre 1725 et 1580 avant notre ère, les Hyksos[2] prirent possession de la ville. Cette époque fut marquée par une grande densité de population, un développement rural mais un déclin culturel. La ville se dota de nouveaux remparts et la cité déversa alors sa population à l’extérieur de ces derniers. Ils ne servirent plus alors qu’à protéger les temples.

Presque un millénaire plus tard, à l’époque perse, les ports phéniciens devinrent encore plus prospères et les villes côtières comme Byblos s’agrandirent et s’enrichirent ce qui engendra l’essor de l’agriculture et Byblos se couvrit d’un dense réseau de constructions. Au temps des romains, entre 63 et 330 après JC, un nouveau tracé urbain de la ville fut réalisé. La ville fut enrichie de temples, de thermes et d’un théâtre romain. Des routes bordées de colonnes furent construites, dont la « Via Appia » d’Orient qui débutait à Byblos pour se finir à Damas en Syrie.

Le théâtre romain de Byblos

Après les romains, les byzantins[3], omeyyades[4], abbasides[5] s’installèrent à Byblos mais ce fut à l’époque des croisés, sous l’occupation franque que la ville changea le plus. En effet, de nombreuses forteresses, églises, tours de gardes furent construites.

Après l’époque ottomane et le protectorat français qui pris fin en 1943, le Liban devint indépendant. Dans les années cinquante, la ville de Jbeil était composée de différents lieux appartenant chacun à une époque différente. La vieille ville d’une superficie de cinq hectares à l’intérieur des remparts datant du 3e millénaire, puis la ville médiévale qui s’étend en longueur et en terrasses sur neuf hectares et  enfin la ville médiane, consistant en des marchés et magasins, développée à l’extérieur des remparts de la ville médiévale et qui s’étend le long de la ville côtière.

La ville contemporaine de Jbeil côtoyant 7000 ans d’histoire

Jbeil voit donc se juxtaposer en son sein, une ville marquée par différentes époques. Toutefois, depuis les années cinquante la ville s’est développée dans une grande anarchie, sans frein ni règlementation et la ville contemporaine ne semble plus respecter ses 7000 ans d’histoire.

Sources :

-Maurice Dunand, « Byblos », 1963

-Emile El Akra « Une identité : regard sur le tissu urbain de la ville de Jbeil », Acte du séminaire international 17 octobre 1986

– Giorgio Gullini, « Byblos, un Carrefour entre Méditerranée et Orient, Byblos Jbeil, restructuration d’une ville médiévale », Acte du séminaire international 17 octobre 1986

– René Dussaud, Paul Deschamp, Henri Seyrig, « La Syrie antique et médiévale illustrée », 1931, Presse de l’Ifpo

-www.pheniciens.com

-Antikforever.com


[1] Peuple nomade vivant en Syrie méridionale

[2] Groupe pluriethnique vivant en Asie de l’Ouest

[3] Descendants des romains d’orient

[4] Dynastie arabe de califes

[5] Dynastie arabe musulmane qui règne sur le Califat abbasside

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