Fès el Bali, les limites de la cité intra-muros

Fès el Bali (la vieille ville) connue comme étant la plus ancienne et plus grande médina du monde, est depuis plus de 12 siècles théâtre de profondes mutations. À la croisée de zones géographiques stratégiques, ce centre traditionnel islamique, s’est construit au grès des migrations de populations qui ont dans un premier temps divisé la Medina puis formé un ensemble riche et hétérogène. El Bali subsista comme modèle prépondérant de la cité par excellence jusqu’à l’installation du protectorat Français en 1912. 

Fès el Bali s’est initialement construite sur un dualisme berbère autour des deux rives de l’Oued, chacune entourée de fortifications. Le territoire est marqué par l’abondance des eaux et de nombreux moulins hydrauliques font partie du paysage fassi. 

Les deux rives sont réunifiées en un grand ensemble au début du IXe siècle. Petit à petit des populations issues de l’immigration organisent géographiquement la ville. Les Andalous expulsés de Cordoue et les Kairouan venus de Tunisie viennent y trouver refuge. Ces évènements marquent un tournant dans l’urbanisation de la médina historique. Les apports massifs de savoir-faire, d’arts, de nouveaux mœurs et modes de vies font de Fès un condensateur social et culturel. 

Une division tripartite de la ville découle de cette immigration. Elle regroupe el-‘Adwasur la rive (droite) des Andalous et el-Andalosiyin(les andalous) et el-Lemitiyin sur la rive (gauche) des Kairouanais. Chacune des parties comprends 6 quartiers. La quasi-totalité des quartiers sont séparés par de grandes portes. Cet ensemble formant Fes El Bali est lui-même entouré de fortifications. Le système défensif complexe à un rôle protecteur et délimiteur qui créer des unités (quartiers) et un ensemble (la cité) au caractère contenu. La ville accueille différents types de constructions : mosquées, mederas, moulins hydrauliques, marchés, boutiques, maristants, étuves, fundunqs et maisons d’habitations. 

À l’intérieur des remparts, la structure est organique avec les mosquées au cœur puis une juxtaposition étroite et désordonnée d’une multitude de cellules unitaires.  Un ordre théologique à 3 dimensions (artisanat, commerce et études) s’installe. Le quartier s’organise selon une spécialisation fonctionnelle autour du sanctuaire.

Les axes de circulation de la rive des Kairouanais. Source: Fès avant le protectorat: Étude économique et sociale d’une ville de l’Occident musulman, Roger Letourneau

Quelques axes relient les cellules mères aux portes et aux ponts de l’Oued. Les deux voies principales de liaison sont Tal‘a kbira, Tal‘a sghira (II et IIbis). Cependant,La nature du terrain ne permet pas le tracé de lignes droites. Autour de ces axes majeurs, Fès el Bali apparait comme un labyrinthe à plus de 9 000 ruelles et impasses tracées au grès de habitations, sans ordre précis. Ces voies considérées comme semi-publiques structurent la vie en communauté dans la Médina. Elles forment des unités spatiales et sociales dans lesquelles différents statuts sociaux cohabitent et se mélangent. Les distinctions sociales sont perceptibles uniquement à l’intérieur des habitations; elles n’existaient pas à l’extérieur. Ces unités autonomes avec une certaine limite d’accès, regroupent selon J. Berques de « hautes demeures en grappes d’alvéoles clauses autour des impasses ».

À la fin du XIIIe s., le palais royal fut construit en dehors de El Bali, à Fes Jdid. L’idée était de construire une ville nouvelle, administrative, dominant Fes El Bali, la ville ancienne. 

Ainsi, pendant des siècles, Fès El Bali était la figure de la cité par excellence, notamment caractérisé par le pluralisme de ces cellules artisanales et commerçantes. Au fil du temps, des faubourgs se créent autour des remparts de la médina. Ce sont les premiers signes d’une des limites du modèle de Fès el Bali. La ville est saturée, elle ne peut pas se contenir uniquement intramuros. 

L’installation du protectorat Français en 1912 va marquer une réelle rupture dans le développement urbain de Fès. La ville doit répondre à de nouvelles nécessités : l’accueil des Colons arrivant massivement et des services connexes au protectorat. En parallèle, le réseau viaire de Fès El Bali rend la médina impraticable en voiture. Les rues sont trop étroites et tortueuses ce qui rend difficile la circulation des biens et des personnes. De plus l’intégration au mode d’habitat dans ces ruelles semi-privées n’est pas adapté à l’installation du colonisateur. La vieille ville présente un nombre de contraintes trop importants au niveau du bâti, des infrastructures du foncier, de la disponibilité d’espaces… Une « ville nouvelle » est donc créée à l’écart et sans continuité morphologique avec la Medina.  

Fès, 1950.
Source: Les images identitaires à Fès : divisions de la société, divisions de la ville, M’hammed Idrissi Janati

Les Fassis aisés, à la recherche d’un nouveau mode de vie quittent massivement El Bali pour la « ville nouvelle ». Ils sont remplacés par des migrants issus des territoires ruraux majoritairement pauvres. Cette transition brutale vide en partie la médina de son socle économique. Fès El Bali se fait envahir par le chômage et un appauvrissement important. 

Néanmoins, Fès el Bali demeure. Cette ville ancienne est toujours reconnue comme étant un berceau artisanal et commercial multiculturel en Afrique du Nord. Le développement touristique de cette partie de la ville n’est pas négligeable. El Fasi est aujourd’hui inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. La Médina a ainsi pu bénéficier de rénovations importantes. Ces travaux ont nécessité la mobilisation de nombreux artisans aux savoir-faire originel pour appliquer les techniques de constructions de l’époque. Malgré ces limites, cette construction de l’urbanisme traditionnel à toujours une place importante dans le développent de l’agglomération et de nombreuses questions sur la centralité de la médina par rapport aux autres ensemble urbains persistent. 

Nina Herzog

Sources

Jacques Berques et les Villes de l’Islam, Mohamed Kerrou.
Identités confessionnelles et espace urbain en terres d’islam – Edisud (2005)

Habitat et intégration patrimoniale dans la médina de Fès : quelles politiques, quels enjeux, Alexandre Abry.
Habiter le patrimoine, Maria Gravari-Barbas – Presse universitaire de Rennes (2005)

Les images identitaires à Fès : divisions de la société, divisions de la ville, M’hammed Idrissi Janati.
Les divisions de la ville, Christian Topalov – Éditions de la Maison des sciences de l’homme (2002)

Fès avant le protectorat: Étude économique et sociale d’une ville de l’occident musulman, Roger Letourneau (1949)

Une exploration de Fès et quelques problèmes de morphologie urbaine musulmane , Jacques Berques.
Annales. Economies, sociétés, civilisations.  6ᵉ année, N. 3, (1951)







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