La ville de Gênes est un amphithéâtre naturel tourné vers la mer. Ses fonds marins profonds d’une part, et les reliefs qui l’entourent d’autres part, privilégient le commerce maritime aux échanges terrestres depuis l’empire romain.
Cette situation géographique va donc caractériser son économie mais également sa politique. Pratiquement insulaire, elle se battra pendant des siècles pour garder cette indépendance face aux empires transalpins ou aux grandes villes italiennes, non sans difficultés. On peut rappeler rapidement la domination Lombarde au VIIème siècle, les rivalités avec Pise au XIIIème, la tutelle sous Napoléon de 1797 à 1814, puis l’époque de la restauration sous le règne de la Sardaigne à partir de 1815.
Elle connaît également de grandes instabilités en son sein, entre familles nobles et riche bourgeoisie. Ce morcellement de la société pourrait encore trouver son explication dans ce rapport à la mer. En effet face aux grands risques que représente le transport maritime, les génois morcèlent leurs activités commerciales en Societas maris (XIIème siècle). Entreprises de 2 ou 3 personnes, elles sont généralement composées d’un capitaliste qui finance l’opération et d’un commerçant qui mène l’expédition. On peut peut-être comprendre qu’une société ainsi composée peine à s’accorder sur un intérêt général, et une politique publique commune.
Malgré cette complexité que constitue la société Génoise et les crises politiques successives, la ville prospère jusqu’à être encore aujourd’hui l’un des ports méditerranéens les plus importants. Le développement urbain du centre historique traduit selon moi ces vagues de prospérité et de décadence. Cette politique urbaine houleuse me semble un exemple intéressant d’urbanisme incrémental, tourné vers une ressource unique, la mer. Je retrace ici une très brève chronologie de quelques interventions.
Au 12ème siècle, Gênes est indépendante et prospère, La Compagna Communis (municipalité) incite l’installation résidentielle sur un socle commercial en arcade face à la mer. Il s’agit d’une première réglementation qui génère le front de mer encore visible aujourd’hui.
En 1528, Andrea Doria supprime la Compagna Communis et instaure la Reppublicca di Genova. Il financiarise le commerce maritime des Societas maris par un système de prêt aux entreprises espagnoles. Cela à pour effet un désintéressement du port par les plus grandes familles génoises. La mer devient un lieu de villégiature ou un paysage et non un lieu de production.

La Strada Nuova est alors dessiné en périphérie pour adresser les plus beaux palais de la ville. Aujourd’hui patrimoine de l’Unesco, elle dénote par sa largeur exceptionnelle parmi les ruelles génoises. La largeur de la rue semble ici dictée proportionnellement à la puissance économique et politique de ses résidents.
En 1684 la France bombarde la ville et détruit près d’un quart du bâti : Gêne est alors alliée de l’Espagne. La municipalité reconstruit au même emplacement des édifices encore plus hauts pour palier à la croissance démographique. Au 18ème siècle la ville compte 70 000 habitants contre 50 000 en 1550, mais les montagnes bloquent toujours l’étalement urbain. Une percée est tout de même dessinée par l’Ingénieur Gregorio Petondi, la Strada Nuovissima.
En 1815, sous le règne de La Sardaigne, un Corpo Decurionale composé de 40 nobles et 40 bourgeois, avec un maire pour chaque partie, a autorité pour dessiner des projets urbains. Cependant ils doivent être validés par le pouvoir central, puis exécuté par un Commissaire d’Etat. Ainsi des projets de percées naissent mais avec difficultés. L’architecte Barabino est ainsi à l’origine de la place San Domenico qui poursuit le parcours initié par la Strada Nuova et Nuovissima en ajoutant la Via Carlo Felice. Il planifie surtout le mouvement d’expansion au Nord vers les collines. Les frontières naturelles sont abattues par le progrès technique.
Le centre est alors déserté par les populations les plus aisées. En raison du délabrement certain du centre, mais également par l’intérêt décroissant porté à la mer initié au 16ème siècle déjà par Andrea Doria. L’industrialisation accroît les nuisances liées à l’activité portuaire. Enfin le besoin de main d’œuvre est moins important et la population se paupérise avec notamment les premières vagues d’immigration. Cette tendance touche son paroxysme à la fin du 20ème siècle.
En 1992 la ville démarre une politique de restauration du centre en s’appuyant sur le tourisme. De grands évènements ont lieu (Exposition dédiée à Christophe Colomb, G8), de grands équipements sont construits (le plus grand Aquarium d’Italie), de grands projets naissent (la rénovation du port antique par Renzo Piano). Enfin le classement au Patrimoine de l’Unesco de la Strada Nuova, aujourd’hui Via Garibaldi, permet sa restauration complète, redonnant toute leur splendeur à ses palais.
Mais encore aujourd’hui les politiques publiques coincent aux étroits enlacements des nombreux propriétaires de ce centre tortueux. Chaque ruelle, chaque immeuble pose un problème à l’universalisation d’une politique qui se voudrait modernisante. La situation de délabrement du bâti est encore problématique. Il y a toujours des nœuds de la plus extrême pauvreté, où à une rue des sentiers touristiques, les pas de portes abritent la prostitution diurne des femmes venues de l’autre côté de la Méditerranée…
Sources :
Y. Renouard, Les villes d’Italie de la fin du Xème siècle au début du XIVème siècle, Regards sur l’histoire, SEDES , 1969
P.P. Penzo, La città italiana prima dell’unità : Milano, Torino, Genova (1700-1861), CLUEB, 2000
A. Airenti, M. Bucchi, A. Dogliotti, R.Parodi, G.Petracco, Il centro storico di Genova da“Problema per la città” a “risorsa della città” e lettura sistemica per un itinerario di recupero e valorisazione del centro storico di Genova, cura di IRITECNA, Genova, 1992
Sous la dir. C. Charline, Ces ports qui créèrent des villes, Maritimes, L’Harmattan, 1994