La poésie de la logique constructive : Appréciation de l’architecture vernaculaire provençale

Chaque territoire possède des caractéristiques climatiques et géographiques qui lui sont propres.
Bien avant que la charte d’Athènes uniformise le paysage architectural mondial, l’architecture était endémique à un milieu. Les constructeurs suivaient des logiques d’usage et d’économie de moyens. On bâtissait selon les vents dominants, la fertilité du sol ou de la source d’eau la plus proche.

Ce regard attentif au territoire et à ses spécificités a mené au XVIIIe siècle en Provence à l’élaboration d’un habitat vernaculaire : le mas provençal.

Au sens large, le mas représentent un ensemble de terres et de bâtiments d’habitation, lié à l’exploitation agricole et à la vie économique rurale. Leur installation s’est faite de manière spontanée. Lorsqu’un mas prenait de l’importance, il provoquait une cristallisation urbaine aux alentours. On trouve des hameaux des mas constitués, descendants de ceux qui ont bâti ou agrandi le mas familial au fil du temps.

La forme architecturale des mas découle d’un savoir-faire accumulé à travers les âges, d’une vision sensible au milieu sec et venteux du Sud-est de la France. Ainsi, pour s’établir au mieux dans cet environnement, les constructeurs ont mis au point de nombreuses stratégies « bio-climatiques ».

On observe en Provence un vent très violent venant du Nord : le mistral. Afin de se protéger efficacement de cette source de froid, les ouvertures des mas sont toujours orientés au Sud et sont absentes au Nord. Le mur de pierre épais face au vent permet une forte inertie qui prévient de la chaleur en été et du froid en hiver.

Le mas est d’ampleur variable mais présente toujours le même schéma parallélépipédique avec un toit à deux pentes. En été, le soleil est haut et son rayonnement sur le toit provoque une surchauffe. En hiver, les rayons incidents sont bas, et l’énergie solaire devient une source de chaleur essentielle.
Ainsi, les constructeurs provençaux tente de capter le moins d’énergie solaire en été en minimisant la surface horizontale du toit. Au contraire, pour bénéficier d’un réchauffement passif en hiver, lorsque l’on en manque le plus, ils prévoient une surface captatrice maximale sur la façade Sud.
On assiste alors à la conception de maisons hautes et étroites, avec des petits toits et une grande façade Sud ouverte.

Par conséquent les mas captaient bien la chaleur d’hier que la façade Sud mais pas sur les autres. Le mas de base était composé d’une salle de vie au premier étage et d’une étable au rez-de-chaussée. Ainsi, la salle de vie profitait de la chaleur dégagée par les bêtes. Dès lors que les propriétaires s’enrichissaient après une bonne récolte, ils s’empressaient de construire des pièces tampons pour protéger le noyau de vie. De ce fait, ces pièces annexes constitues une première barrière, une couche supplémentaire qui régule la température entre l‘extérieur et l’espace de vie. On commençait généralement par construire au Nord, pour se protéger du vent dominant. Les ouvertures étant limitées sur cette façade, la salle produite était très sombre et fraîche, on y mettait le cellier et les réserves.
Ces extensions se prolongeaient jusqu’au toit, en haut on installait le grenier. Les récoltes étaient ainsi protégées du sol et des rongeurs, en plus leur masse servait d’une sorte d’isolation supplémentaire.
L’agrandissement à l’Ouest était plus léger, parfois juste un auvent pour créer de l’ombre et protéger les outils agricoles et les chevaux de traits.

Les murs servent ainsi à clôturer les différents espaces mais ils doivent aussi assurer l’isolation à la pluie et aux vents.
Dès lors, les mas étaient construits grâce aux matériaux disponibles sur les terres de l’exploitation. «Les pierres sont prélevées sur les tas d’épierrement des champs retournés. Le mortier n’est que de la terre minérale parfois additionnée de chaux éteinte sur place. L’enduit intérieur composé de terre sablo-argileuse est appliqué puis serré à la taloche de bois. Il a sa raison d’être dans la lutte contre les rongeurs, vermine en tout genre et le froid.»

Les pierres de Provence sont tendres et denses, elles produisent une bonne inertie thermique à partir d’une épaisseur de 50cm environ. L’inertie thermique représente la résistance d’un matériau au changement de température. Ainsi, la densité des pierres permet de déphaser l’onde de chaleur de 10 à 12 heures. Plus simplement, la chaleur de l’air extérieur n’est transmise à l’intérieur que 10h après avoir été captée. Lorsque l’air chaud de l’après-midi baigne la région, l’intérieur des murs restitue dans la pièce la fraîcheur captée dans la nuit. Ce système de déphasage permet à l’espace de vie d’être au frais en été.

La région est caractérisée par une humidité importante, à chaque orage elle est largement amplifiée.
Les fondations «constituées d’un simple empattement en pied de mur» ne sont pas imperméables, de l’eau est donc aspirée depuis le sol. Cette eau remonte naturellement par capillarité dans la maçonnerie et dégage l’humidité accumulée à l’intérieur de l’habitation. Il a donc fallu imperméabiliser la maçonnerie sans enfermer l’humidité à l’intérieur des murs. Ainsi, l’enduit extérieur choisi pour permettre l’évaporation de cette eau, est fait de chaux qui est un matériau poreux et respirant.

Afin de remédier à cette humidité, les constructeurs provençaux s’inspirent d’une technique d’assèchement venue de Gènes : la génoise. «Dans le haut du mur, juste sous le toit, ils plantent des tuiles particulièrement longues. Elles pénètrent dans le mur sur trente à quarante centimètres. Au-dessus, si on en a les moyens, on plantent une seconde rangée de vingt à trente centimètres et enfin on peut en placer une troisième qui pénètre à peine dans le mur.»

Cet appareillage de tuiles permet au vent de s’infiltrer, à travers la chaux poreuse, au cœur de la maçonnerie. Environ 120 jours par an, le vent souffle sur le bâtiment et vient assécher l’intérieur du mur. Autour des tuiles plantées dans le mur se crée une zone dans la chaux qui ne contient plus d’humidité. Petit à petit, à mesure que le mistral souffle, le mur s’assèche.

Ce dispositif permet au bâtiment de durer plus longtemps, à l’atmosphère d’être moins humide et aux murs d’être plus performants thermiquement, car plus le mur est sec, mieux il isole.

La protection thermique se faisait aussi grâce à la végétation. De ce fait, des arbres caduques étaient plantés au Sud afin que les feuillages filtrent les rayons et apportent ombre et fraîcheur en été. En hiver, les arbres ayant perdus leur feuilles laisse les rayons atteindre la façade.
Au Nord, on choisissait souvent des cyprès qui sont fournissent un feuillage dense toute l’année et permettent de protéger l’habitation du mistral.

J’espère avoir transmis l’idée que les connaissances ancestrales du territoire mises au service d’une grande qualité thermique et d’usage représentent la plus efficace et pure des logiques constructives.

L’exemple des mas provençaux prouve que le savoir faire accumulé par un regard sensible du site se traduit en une composition efficace et harmonieuse de l’espace.
La poésie que dégage l’idée de vivre en harmonie avec le territoire, de s’adapter à un site et à ses contraintes me semble liée à des problématiques contemporaines. L’élan actuel pour l’architecture passive et sobre en énergie devrait s’enrichir du passé et apprendre de l’architecture vernaculaire en profitant des ressources environnantes

Sources :

Photos du mas haut et étroit + génoise : http://www.renouveau-thermique.fr/adaptee-a-son-climat-5-14-26?fbclid=IwAR0pP-RR75EnZ04p3pukOblkWhUDzKFxUzdesTBR0TesR8p8-qmhAb9eNfQ

Laisser un commentaire