
C‘est en 1229 que le fondateur de la dynastie Hafside, Abû Zakariyâ Yahyâ affranchira la ville de Tunis du Califat marocain pour en faire la capitale de son nouveau royaume et lui donner la configuration spatiale dont nous sommes témoins aujourd’hui. Il y édifiât la Mosquée de la Kasbah (siège du gouvernement almohado-hafside), à proximité de cette dernière. C’est aussi à son époque qu’est fondée la première medersa nord-africaine suivie par une longue série du même type d’équipements au cours de son règne. On verra aussi fleurir bon nombre de Souk autour de la Grande Mosquée Ezzitouna : celui des étoffes, et celui des essences et des parfums. Abû Zakariyâ Yahyâ consolidera également les remparts de la médina et ouvrira les portes de « Bab Benat », de « Bab Menara » et celle de « Bab Jdid », « Bab Bhar », « Bab Souiqa », etc… C’est au développement des confréries religieuses dans les siècles suivants (XVIII -ème siècle notamment) que nous devons l’apparition des Zaouïas, établissements religieux d’enseignement et d’asile des disciples mais aussi les grands travaux hydrauliques : aménagement de lieux d’ablutions, de fontaines, d’abreuvoirs, de grandes citernes et d’aqueducs. Tunis passera finalement aux mains de l’empire ottoman après de rudes bataille avec l’Espagne. La médina de Tunis, au fil de ses gouverneurs change et se développe.
Cependant, elle conservera au fil du temps les mêmes éléments vecteurs structurants son tissu urbain : ses composantes architectoniques(le périmètre, le cheminement, le mur, la porte, la chicane ou la skifa, la driba, la cour, l’arc, la voûte et la cellule), ses techniques de construction (pierre, bois, chaux), ses activités (les souks, la mosquée, le sanctuaire « masjid »/ »medersa »/ »zaouia », la maison, l’entrepôt ou « foundouk » ), ainsi que les différentes modalités de relations entre celles-ci. Elle prend alors la dimension d' »organisme vivant » (tel que la décrit Attilio Petrucioli) dont les composantes sont profondément interconnectées via des modèles de services, de résidences, d’espaces publics et de circulation pour produire ainsi une vie urbaine.

Les différentes articulations de la maison avec l’espace exclus, croquis extraits de « Le signe de la Médina.
La morphologie urbaine selon Roberto Berardi. F. Privitera, M. Métalsi », p177

Opération de production du souk et du foundouk à partir des mêmes éléments architectoniques (cellules et modalités d’assemblage), schéma extrait de « Le signe de la Médina. La morphologie urbaine selon Roberto Berardi. F. Privitera, M. Métalsi », p158
Il est intéressant par ailleurs, de noter que la Médina de Tunis, au-delà de ses caractéristiques, est articulée autour de la distinction Halal/Haram et inclusion/exclusion. La constitution de son tissu relève donc de ces distinctions et ce pour toutes les configurations spatiales existantes. Le processus de fabrication de la ville répond donc à la « Chari’a » ou loi de l’Islam qui prend alors un rôle de religion « urbanisante » via cette codification sous-jacente, « puisque la loi islamique a fonctionné comme une ligne directrice à la fois pour la construction et pour la vie urbaine ». La médina de Tunis est bel et bien un « organisme vivant » tel que le décrit Salwa Khadra Jayyusi. La ville, alors, se compose de parties qui sont profondément interconnectées, avec des configurations bien établies de résidences, de circulation, d’espaces publics, et de services. En dépendant les unes des autres, elles créent une dynamique produisant ainsi une vie urbaine. La planification réelle de la ville réside en ses diverses réponses socio-morphologiques de ses composantes au règlement sous-jacentes de l’Islam. Ainsi, la ville répond aux technologies de son époque, elles-mêmes subordonnées à ce règlement, celui du Halal/Haram en se basant sur la double dialectique intérieur/supérieur et extérieur/inférieur.

Mais si nous reprenons la simple notion d' »organisme vivant » à travers les relations et les mécanismes qui existent entre ses différentes composantes, est-il possible de l’appréhender dans notre contexte actuel : celui des métropoles dans un mouvement de transition écologique (et solidaire !) et de développement durable. Ne serait-il pas intéressant de réintégrer ce modèle de l’urbanisme traditionnel dans sa forme et de l’adapter à l’urbanisme contemporain (né avec l’avènement de la Révolution Industrielle du XIX -ème siècle) -dans son contenu- pour être générateur de modèles alternatifs plus respectueux de l’environnement naturel de la ville, de ses ressources et de ses acteurs ?Comment réintégrer le rôle des corporations (et donc de la production artisanale) pour répondre aux enjeux économiques actuels de la médina de Tunis ? Est-ce que la nouvelle vague de « maisons d’hôtes artisanales » de la Médina de Tunis est un phénomène socio-économique et culturel à envisager comme catalyseur pour la réintégration de ce tissu urbain dans la contemporanéité de laquelle il est encore éloigné ?
Rima El Herfi
Ouvrages de référence:
Palais et demeures de Tunis (XVIe et XVIIe siècles), Jacques Revault, Paris : Éditions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1967. pp. 7-370. (Études d’antiquités africaines)
Le signe de la Médina. La morphologie urbaine selon Roberto Berardi, F. Privitera, M. Métalsi, Etudes Euro-Méditerranéennes, 2016, p176
On the City, in “Urban Fabric,” R. Berardi , ed. A. Petruccioli, Environmental Design: Journal of the Islamic Environmental Design Centre 1–2 (1989), p.8–17
The ‘Urf ’ and its role in diversifying the architecture of traditionalIslamic cities, B. S. Hakim, Journal of Architectural and Planning Research 11, no. 2 (1994): p.108–127.