Reconstruction de Royan : Une modernité balnéaire d’inspiration tropicale

Cet article s’inspire d’une manifestation scientifique proposée à L’ENSA Normandie intitulée «Topic/Tropiques/XXe» traitant de l’influence des pays tropicaux sur l’architecture et les paysages du XXe siècle en Europe. Le vieux continent, en pleine reconstruction après la guerre, s’est en effet vue ressourcée et vivifiée par les pays «tropicaux» en particulier le Brésil à travers des échanges d’idées et d’expériences. De nombreux dispositifs de contrôle environnemental et climatique issus d’architectures traditionnelles ou novatrices ont par exemple étés importés de pays à climat tropical ou méditerranéen en Europe: claustra, auvents, paravents, parapluies, brise-soleil, ventilation naturelle, etc. Dans cet article, nous allons nous intéresser plus particulièrement à la reconstruction de la ville de Royan, cité balnéaire bombardée presque entièrement pendant la seconde guerre mondiale. Les premières réalisations d’inspiration néo-classique n’attestaient en rien le tournant moderne qui opéra à partir de 1948, largement influencé par le Brésil et sa nouvelle génération d’architectes dont le chef de fil est Oscar Niemeyer. Quel est l’élément déclencheur du « basculement » (selon Gilles Ragot dans son livre de 2003 : « L’invention d’une ville. Royan années 50») de l’architecture et de l’urbanisme classique et régionaliste vers le modernisme? Comment s’est matérialisée l’influence de l’École du Brésil dans l’architecture Royannaise? Comment cette architecture des années cinquante est devenue un patrimoine pour la ville? Retour sur l’émergence d’une modernité balnéaire à Royan, d’inspiration tropicale.

De la station balnéaire de premier ordre à la destruction

Le grand casino municipal vers 1930 – carte postale « Tito »

La ville de Royan est une ville de bord de mer située à l’entrée de l’estuaire de la Gironde. Elle est au XIXème et début du XXème siècle une station balnéaire de renommée internationale très prisée de part ses nombreux hôtels de luxe et villas extravagantes en front de mer. Une attractivité renforcée par l’arrivée en 1875 du premier train direct en provenance de la capitale française. Sa notoriété est telle qu’elle fait construire le plus grand casino de France en 1895 par l’architecte Gustave Redon, «véritable manifeste de l’inspiration baroque et de l’éclectisme du XIXe siècle». Néanmoins et contrairement à ses concurrentes du sud-ouest telles qu’Arcachon, La Rochelle, Biarritz ou encore Soulac-sur-Mer, Royan connaît un destin architectural et urbanistique bien différent: elle est détruite à 85 % dans la nuit du 5 janvier 1945 par les bombardiers alliés de la Royale Air Force pour mettre un terme à la «poche de Royan» encore sous pavillon allemands et résistant depuis presque 8 mois aux offensives alliées.

A la fin de la guerre, Raoul Dautry, le ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme dans le Gouvernement Provisoire de la République Française, déclare la ville «sinistrée». En Juin 1945, l’architecte d’origine bordelaise Claude Ferret (1907-1993) est alors nommé architecte-urbaniste en chef de la Reconstruction à Royan. Il dirige la reconstruction de la ville entre 1945 et 1964 en s’associant en particulier avec l’architecte parisien Louis Simon. Ces deux architectes n’ont presque aucune expériences professionnelles et possèdent les mêmes références et culture architecturales, celle de l’école des Beaux Arts, qui n’est pas une culture de la modernité architecturale.

Vue aérienne destructions suite aux bombardement – collection M. Sicard

Une première architecture d’inspiration classique

Les premières mises en œuvres architecturales et urbaines n’ont aucune aspiration moderne et témoignent au contraire de la culture néo-classique du jeune Ferret. Lorsqu’il commence à travailler sur le plan de Royan, il conçoit la ville selon une «composition tripartite triangulaire» marquée par deux axes perpendiculaires : la rue Aristide Briand, (principale avenue commerciale de la ville) qui plonge vers l’océan, et la rue Gambetta qui longe le front de mer et la plage. La circulation automobile est hiérarchisée : Une voix périphérique est dessinée dans le but de dégager le centre ville de la circulation automobile. D’autre part, il envisage de faire à Royan une architecture monumentale, très classique et régionaliste dans son langage, et s’inspirant largement des bâtiments construits à Paris dans les années 30 tels que le Palais de Chaillot ou le Palais de Tokyo. Tous les projets de Royan dessinés entre 1945 et 1947 sont de cette inspiration de composition classique: colonnades, parallélismes, symétrie, perspective.

Croquis de composition – Fonds Ferret – Ecole d’architecture et du paysage – Bordeaux

Le boulevard Aristide Briand, qui constitue la première opération d’envergure de la reconstruction, est l’exemple le plus significatif de ce retour à la monumentalité et au classicisme d’avant-Guerre. Cette avenue, conçu en 1945 et achevée sur l’ancien lit du ruisseau du Font de Cherves en 1956, relie le marché central à l’actuelle place Charles de Gaulle et se veut comme une perspective monumentale sur l’estuaire de la Garonne. Une composition classique donc : un rez-de-chaussée destiné aux activités commerciales, deux étages «nobles» d’habitation avec balcon filant et un étage d’attique en couronnement. La pierre de taille est utilisée pour souligner les porches, les encadrements de fenêtre ainsi que les corniches, et l’enduit de façade permet aux architectes de masquer le béton et le ciment. D’autre part, afin de mettre en évidence la relation forte entre la ville et l’océan Atlantique, des bas-reliefs représentant des fonds-marins ornent les portiques de l’avenue.

Boulevard Aristide Briand et le Marché central – Editeur : Combier, 1959

Le « basculement des références » : vers la modernité

Deux phénomènes participent à changer les plans et projets. D’une part, les débats des années 1940 particulièrement virulents lors de la publication des travaux des CIAM, d’autre part, la diffusion des périodiques d’architecture internationale les années qui suivent la fin de la guerre. Le « basculement des références » se fait en septembre 1947, où la revue Architecture d’Aujourd’hui publie un numéro spécial dont le contenu éditorial est consacré sur le Brésil et la production architecturale d’une nouvelle génération de jeunes architectes créant «l’Ecole du Brésil» dont Oscar Niemeyer fait partie. A cette époque, le pouvoir brésilien fait confiance à ces nouveaux talents pour moderniser le pays. Ce sont de jeunes architectes qui connaissant bien l’Europe car ils y ont fait leur étude. Ils connaissent donc les concepteurs de ce continent en particulier le Corbusier qui va être une source d’inspiration majeure pour cette école du Brésil. Ils considèrent en effet comme leur «maître» pour se débarrasser définitivement du classicisme et imposer le modernisme comme le courant majoritaire.

«Mais chez nous, où nous n’avions pas encore une véritable architecture des Tropiques, brésilienne et non pas portugaise, novatrice et non pas imitatrice, nous sentions que Le Corbusier était notre maître », Oscar Niemeyer

Il y aura donc un mouvement qui se fait de l’Europe vers leur Brésil puis un retour vers l’Europe à travers le projet urbain de la ville de Royan. En effet, la Parution de ces revues a un impact considérable sur les convictions des architectes travaillant à la reconstruction de la ville. De part la lenteur de l’administration, les projets de reconstruction en cours (front de mer, poste central, casino, etc) ne sont pas encore commencés en 1948 si bien qu’ils sont repris un à un à l’exception du boulevard Aristide Briand. Pour la poste centrale construite en 1955 par exemple, le premier projet dessiné par André Ursault semble très rationnel et classique. Une modification du projet est alors apportée, certainement sous l’influence des collaborateurs de l’architecte. Certes, le projet reste toujours symétrique. Néanmoins Ursault cherche d’autres solutions, il arrondit les angles, il ajoute des pergolas, etc. Une mutation de cette architecture se fait donc progressivement et tous les nouveaux projets s’inscrivent dans cette tendance à la modernité, réchauffée par l’exotisme du Brésil. La «tropicalisation» de l’architecture moderne se traduit notamment par l’épaisseur des façades, l’importance de la relation entre intérieur et extérieur en particulier avec l’invention du brise-soleil. Elle constitue un répertoire de dispositifs et de formes qui permettent de réinventer le balnéaire royannais.


Portique du front de mer et Casino – Fonds Simon

Certains clients privés adhèrent même à cette modernité, en témoigne les nombreuses villas «modernes» construites à cette époque en particulier la villa La Rafale construite en 1959 et conçue par l’architecte Pierre Marmouget. Dite villa «Boomerang» de par sa forme en V ouvert sur pilotis, cette maison avec balcons filants, toiture terrasse, claustras et auvents tient de la modernité radicale d’un projet de Le Corbusier associée à la finesse tropicale brésilienne. Marmouget joue d’ailleurs un rôle important dans l’introduction des références brésiliennes dans les grands projets auxquels il participe: le Casino, le Palais des Congrès, la Place Gantier, etc.

Villa « Boomerang » de Pierre Marmouget – © Philippe Souchard

Rejet par les habitants puis patrimonialisation

Cette architecture est mal comprise, mal aimée d’une partie des rayonnais: elle est associée aux grands ensembles des banlieues qui se dégradent et se paupérisent. Le manque de soutient entraine la destruction ou le remembrement de projets emblématique de l’après guerre. Le casino de Ferret par exemple ainsi que le portique du front de mer en forme de vague sont détruits au milieu des années 80, la poste central d’Ursault est amputée avec des rajouts peu disgracieux dans les années 70, le palais des congrès de Ferret, marmouget et Courtois voit sa façade remembrée avec l’ajoût d’une façade miroir, etc.

A la suite de ces événements, l’église Notre-Dame est classée aux monuments historiques en 1988. La municipalité se rend également compte de l’importance de protéger son architecture des années 50 qui marque profondément l’identité de la ville et élabore en 1996 une Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager (ZPPAUP). Le marché central de Louis Simon et André Morrisseau sera classé quant à lui en 2002.

La villa Ombre Blanche, Front de mer – © Mélanie Chaigneau 

Conclusion

La ville de Royan réinvente donc le balnéaire, un balnéaire des années 50 qui se veut résolument moderne, avec des inventions architecturales dont le Brésil et plus spécifiquement sa jeune école a joué un rôle majeur à travers le partage de références.

Bibliographie

  • Séminaire de recherche Tropiques/topics/XXème : Thémathique Royan et le Brésil.
  1. Royan, histoire d’une reconstruction, inspiration brésilienne.
    Gilles Ragot : «le basculement des références» dans «l’invention d’une ville :
    Royan dans les années 50».
  2. Royan, Ville d’Art et d’Histoire XXe siècle. Charlotte de Charrette :
    la «tropicalité» du futur à Royan : les projets, le regard des habitants.
  3. L’utilisation des blocs ciment dans le contexte brésilien et français de
    l’architecture moderne l’entre deux guerres. Adriana Freire et Caroline Bauer
  4. Exemples de patrimoine moderne au Brésil. Jean et Maria Deroche.

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