Oulan-Bator, capitale de la Mongolie, recoupe sur son territoire une culture nomade et des enjeux liés à sa récente ouverture à l’économie de marché. Cette ville de 1,4 millions d’habitants est la plus importante du pays et regroupe presque la moitié de sa population. Il s’agit d’une capitale très froide avec des températures minimales avoisinant les -30° l’hiver, installée au coeur de la steppe Mongole et entourée de massifs montagneux. Historiquement composée d’ensemble d’habitats informels appelés ger area (quartiers de yourtes), elle a connu les débuts de son urbanisation suite aux premiers schémas directeurs durant l’influence soviétique. Des planifications successives n’ont pas suffisamment pris en compte l’exode rural récurrent et n’ont pas su absorber ces populations nouvelles. Ainsi, la ville développe aujourd’hui une urbanisation inédite, son centre ville urbanisé et contenu est entouré par un étalement urbain composé de ger area accueillant, en 2012, 62% de la population de la ville1. Ces espaces manquent d’infrastructures et se chauffent individuellement au charbon, provoquant des pics de pollution invivables durant l’hiver. Cependant, ce type d’habitat traditionnel est encore très apprécié des Mongoles.

Cette capitale, dans un pays émergent ambitieux et riche en ressources naturelles, vient mettre en avant certaines limites et échecs de la planification et de l’urbanisme contemporain à différentes époques face à l’arrivée massive de populations en ville. Son analyse nécessite de contextualiser les différentes phases de son urbanisation, jusqu’aux enjeux actuels et aux premières réponses trouvées.
L’impact soviétique sur la capitale
De 1924 à 1992 la Mongolie était un état satellite de l’union soviétique et s’appelait alors la République Populaire Mongole. C’est durant cette période que l’urbanisation de Oulan-Bator a été la plus importante. Quatre master plans se sont succédés, de 1954 à 1986 et ont été élaborés par l’institut Giprogor à Moscou en Russie. C’est de cette planification qu’est issue une grande partie des tissus actuels d’Oulan-Bator. Ces schémas successifs sont venus planifier les grands axes des infrastructures routières, la structure de l’hyper centre et le zonage pour les espaces industriels. Sur ce dernier aspect, les zones industrielles lourdes ont malheureusement été localisées le long de la rivière, provoquant rapidement une pollution des eaux. C’est aussi au fil de ces master plans que des immeubles collectifs d’habitations ont été édifiés. Ils ont permis d’absorber une certaine partie de la population vivant dans les zones d’habitat informel. Durant la mise en place du master plan IV des 1976, les zones d’habitations planifiées ont permis d’absorber 47.8%2 de la population de la capitale. Cette planification a toujours sous estimé l’impact de l’exode rural et n’a pas réussi à absorber les nouvelles populations qui continuaient de s’agglomérer de façon informelle en périphérie. Il faut aussi noter que les temps très froids en hiver réduisent les temps de construction car les chantiers s’arrêtent à cette période.

Une planification figée durant plus de vingt ans mais une ville continuant de s’étendre
La chute de l’union soviétique a permis à la Mongolie de s’ouvrir à l’économie de marché depuis 1992, mais elle a coupé le pays de ses investissements tout en fragilisant sa structure institutionnelle. Il a fallu attendre dix ans pour que la planification urbaine soit de nouveau intégrée aux politiques de la ville et que ces dernières publient un nouveau schéma directeur V 2002-2020 et effectuent des rapprochements institutionnels permettant l’efficacité du secteur urbain. Le schéma directeur n’a cependant pas été appliqué, cette nouvelle planification avait elle aussi sous estimé l’augmentation de la démographie. Les fonds financiers n’ont pas été levés afin de le mettre en application et les règles qui ont été conçues n’ont pas été appliquées dû à une structure juridique encore trop fragile. La situation de Oulan-Bator a ainsi continué à se détériorer avec un étalement urbain plus intense. L’hiver de 2009-2010 a été particulièrement rude et à lancé une nouvelle vague d’exode rural vers la capitale. En parallèle, une réforme de privatisation des sols a été développée et a permis d’attribuer à tous les habitants de Oulan-Bator un droit à 0,7 ha par foyer, que les habitants pouvaient réclamer jusqu’en 2008. Ce phénomène a légitimé et accentué la sédentarisation de population dans les ger area.
Ainsi, la ville en 1992 est encore fortement présente dans la morphologie actuelle d’Oulan-Bator définie par un centre ville classique tenu et relié aux réseaux (électricité, eau chaude, chauffage urbain,..), des espaces industriels le long du fleuve et des ger area qui s’étendent toujours davantage autour de la ville sans être reliées aux réseaux urbains, accessibles par des rues sans issue.
Un nouveau schéma directeur 2013-2030 gorgé d’enjeux

Un nouveau schéma directeur 2013-2030 a été développé pour contrer les effets – ou non effets- du schéma précédent. Des investissements ont été priorisés notamment sur les infrastructures et les transports en commun (création d’une première ligne de BRT et potentiellement un métro léger). Des bailleurs de fonds internationaux sont mobilisés notamment JICA et l’ADB afin de financer certains de ces projets, structurer et former les administrations locales. Ce schéma directeur a reçu également l’appui de bureaux d’études occidentaux tels que Groupe Huit mais aussi d’instituts comme l’APUR.
Cette nouvelle planification urbaine propose une ville polycentrique avec des sous-centres (subcenters) rassemblant leurs lots d’équipements et d’infrastructures à l’échelle des quartiers, tout en permettant de les relier aux réseaux viaires. Une trame vertes protégées est aussi déployée et connectée aux zones naturelles. Une tentative de diversification des typologies d’habitat propose de nouveaux lieux de vie, allant des immeubles de grande hauteur aux maisons individuelles et semi détachées dans les ger area actuelles. La question de la réhabilitation des ger area est ainsi cruciale et l’APUR a souligné l’importance du travail de coopération avec les habitants pour trouver une forme adaptée aux modes de vie et à la culture locale. Cette planification sur les vingt prochaines années doit aussi être accompagnée de renforcement administratif dans les domaines juridiques notamment avec des outils de contrôle des permis de construire afin de réguler les constructions nouvelles. Enfin, une diversification des sources de chauffage et une meilleure isolation des habitations ont été mises en avant afin de limiter le fog ambiant l’hiver, généré par la pollution au charbon.

La mise en application de ce schéma directeur est aujourd’hui en cours. L’élaboration des schémas successifs démontre l’importance de la coordination entre l’urbaniste concepteur et la structuration institutionnelle pour mener à bien un projet de cette échelle. Par ailleurs, cette ville polycentrique en devenir devrait régler des enjeux de salubrité et de transports mais ne risque t-elle pas de perdre une identité nomade à vouloir se standardiser? Autrement dit, comment pouvons nous lier l’urbanisme moderne aux structures traditionnelles identitaires ?
Mathilde Saint-Jalmes
Sources:
- Incremental Urbanism: Ulaanbaatar’s Ger Districts, RUF – Université of Hong Kong, janvier 2019, http://rufwork.org/grafiken/Jan19_RUF_Incremental%20Urbanism_Final%20Report.pdf
- The City, Modernizing the City: Soviet Master Plans for Ulaanbaatar (1954-1990), Tsui Yan Yan, Asian Cities Research, Architectural History & Theory, décembre 2016, http://fac.arch.hku.hk/asian-cities-research/planning-the-city-soviet-master-plans-for-ulaanbaatar-1954-1990/
- Towers on the steppe: compact city plans and local perceptions of urban densification in Ulaanbaatar, Mongolia, Raven Anderson, Michael Hooper & Aldarsaikhan Tuvshinbat, Journal of Urbanism: International Research on Placemaking and Urban Sustainability, Aout 2016, 10:2, 217-230
- UlaanBaatar, capitale de Mongolie, rapport de mission – 27 au 31 octobre 2012, APUR, Janvier 2013
- Twenty-first century nomadic city: Ger districts and barriers to the implementation of the Ulaanbaatar City Master Plan Tseregmaa Byambadorj, Marco Amati and Kristian J. Ruming, Asia Pacific Viewpoint, Vol. 52, No. 2, August 2011, pp165–177, p 172
- PART II: Ulaanbaatar City – Master Planning 2030, The Study on City Master Plan and Urban Development of Ulaanbaatar City (UBMPS), JICA, FINAL REPORT Vol.2 Main Text, Mars 2009
1UlaanBaatar, capitale de Mongolie, rapport de mission – 27 au 31 octobre 2012, APUR, Janvier 2013, p.3
2Twenty-first century nomadic city: Ger districts and barriers to the implementation of the Ulaanbaatar City Master Plan Tseregmaa Byambadorj, Marco Amati and Kristian J. Ruming, Asia Pacific Viewpoint, Vol. 52, No. 2, August 2011, pp165–177, p 172