
Par F. TARONI
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la France doit se reconstruire. Plusieurs dizaines de ses grandes villes sont de véritables champs de ruines.
Avec 150 ha de ruines sur 85% de son territoire, la ville du Havre fut en novembre 1944, la ville la plus détruite de France. Devant l’importance stratégique que revêtait le deuxième port Français, le MRU – Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme – va se mobiliser très tôt pour la reconstruction du Havre.
Raoul Dautry, le ministre de la reconstruction confia en février 1945 le projet de reconstruction du Havre à “l’atelier de reconstruction du Havre” et à son chef de file Auguste Perret. Ce projet devint alors un véritable banc d’essai pour le fonctionnalisme et l’urbanisme moderne et qui allaient devenir le standard de l’après guerre.

Après le traumatisme que représente la destruction totale de la ville, la perte de repères matériels et historiques pour les havrais, l’ambition d’Auguste Perret a été de porter un nouveau projet culturel cohérent, comme une invitation à vivre autrement.
Perret souhaita se libérer de toute contrainte de la ville ancienne afin de reconstruire une ville neuve, moderne et rationnelle, tout en reproduisant les éléments structurant de la ville séculaire.
La reconstruction du Havre va alors concilier l’urbanisme moderne et les traditions séculaires de l’urbanité et du rationalisme français.
En structurant l’espace urbain autour d’un triangle d’or, reliant trois pôles majeurs de la ville – le centre, le port et la mer – comme base de la composition, Perret donna au centre ville une visibilité remarquable conservant une dissociation entre espace privé et espace public claire.
L’organisation du plan orthogonal en deux damiers distincts, s’inspire du tracé d’avant guerre, mais le recompose sur la base d’un découpage carré de 6,24m, définissant une trentaines d’îlots, en référence au territoire virtuel qui s’est constitué, autour des quartiers d’avant guerre.

Outre l’unité spatiale et tectonique qu’offre ce premier plan moderne de la reconstruction, la réorganisation de l’espace de la ville, à travers la refonte du foncier traditionnel, va également jouer des différences de hauteurs bâties pour composer les volumes de la ville suivant l’orientation au soleil ou aux vents dominants. Le fonctionnalisme moderne subtilement couplé à la rigueur et la méthode des traditionalistes dont Perret se réclame, font du plan moderne du Havre un projet à la valeur universelle exceptionnelle, “renvoyant à un tout autre univers historique, qui implique, d’autres théories architecturales, mais aussi la mémoire urbaine dont celle de la tragédie de la guerre (K. Frampton)”.

Parmis les projets de reconstruction puis plus tard ceux des grands ensembles, la reconstruction du Havre fut peut être la seule oeuvre nourrie d’une unité tectonique forte et d’une authentique ambition culturelle. Pourtant, le projet de reconstruction du Havre mené par Perret sera longtemps sous-estimé, voir même décrié par les partisans d’une architecture moderne radicale, conceptualisée dans la chartes Athènes et avec laquelle Perret avait pris ses distances.
En quelques années à peine, l’ampleur de la reconstruction va permettre au modernisme de passer d’un simple mouvement d’avant garde des années 1920 à la doctrine urbaine dominante de l’après guerre. Pour autant, ce qui pouvait apparaître comme la victoire du fonctionnalisme va surtout enraciner celui-ci dans une logique productrice à grande échelle et mal maîtrisée, l’éloignant progressivement de son projet culturel initial.
Le temps de la réflexion des années 1920 était passé. Les principes du fonctionnalisme adoptés mécaniquement, conduisirent à une vision rudimentaire et simpliste de la ville moderne. Comme l’analyse F. Choay, l’ordennement et la classification des “grandes fonctions humaines de base” dans le schémas de la ville moderne corbuséenne aura atomisé les structures périmées de la ville traditionnelle sans pour autant les remplacer par une structure dont le poids sémantique soit suffisant.
C’est aujourd’hui avec un certain recul que nous pouvons apprécier le projet de reconstruction du Havre, comme un témoin unique au monde d’un ensemble urbain ayant peut être réussi l’amalgame du modernisme et de la ville.
François TARONI
Sources:
– L’architecture Moderne: Une histoire critique – Kenneth Frampton – 2010 – Ch.24 – De l’art déco au front populaire: l’architecture française de l’entre-deux-guerres
– Le Havre, La ville reconstruite par A. Perret – Dossier UNESCO de la Ville du Havre
– La reconstruction du Havre – Benoit Georges – Les Echos du 22 Août 2013
– Pour une anthropologie de l’espace – Françoise Choay – 2006 – Chap. Le Corbusier en perspective 1995 – 1966