USBEK & RICA- WAEL SGHAIER vue aérienne du data center PAR7 – La Courneuve – JUIL 2017
C’est autour d’une requalification urbaine qu’est née la communauté d’agglomération Plaine Commune, regroupant ainsi 9 villes : Saint-Ouen, Saint-Denis, Villetaneuse, Aubervilliers, l’Ile de Saint-Denis, la Courneuve, Stains, Pierrefitte-sur-Seine et Epinay-sur-Seine. Cette requalification urbaine fait suite à une longue et difficile période de mal-être social causé par la désindustrialisation de cette région d’Ile-de-France à la fin des années 70 qui mena alors à de multiples problèmes à différents niveaux. L’augmentation du chômage, de la violence, le manque de transports publics, la mauvaise viabilité des routes et l’insalubrité avaient eu raison des espoirs des élus communistes pour un éventuel développement économique et social et ce durant deux décennies mortifères qui fait de Saint-Denis l’une des plus pauvres ville d »Ile-de-France.
L’heure est alors au changement de position : la ville profite de la désindustrialisation pour acheter du foncier qui était alors majoritairement privé et s’allie au patronat local. Au niveau national, la France accueillera bientôt la coupe du monde de Football en 1998. L’Etat signe alors une charte d’aménagement et de développement de la Plaine Saint-Denis pour construire le Stade de France en vue de la coupe du monde de Football. Ceci permettra au syndicat intercommunal de négocier la couverture de l’autoroute A1 et la construction des gares RER B et RER D.
« L’élaboration du projet urbain, puis l’arrivée du Stade de France et la ferveur engendrée par la Coupe du monde ont marqué un tournant décisif dans la reconversion du territoire et l’impulsion d’une économie renouvelée, qui s’est traduit par un remarquable dynamisme démographique et économique. » [1].
La Plaine Commune s’inscrit depuis dans la politique d’attractivité de l’Etat pour une relance effective économique et socio-démographique de son territoire.
L’implantation du premier Data Center à Plaine Commune -dont la période d’étude sélectionnée ici est celle qui correspond à l’installation du premier data center à nos jours, c’est-à-dire de 2006 à 2019 – n’est donc pas dû au hasard. Il résulte en effet du croisement de plusieurs facteurs clés :
- Les friches industrielles à l’abandon depuis la désindustrialisation sont très importantes
- Le prix du foncier est de 30% inférieur au prix du marché [2]
- La zone est non inondable
- La proximité de Paris notamment grâce aux nouvelles dessertes
- L’existence d’un maillage électrique déjà installé (infrastructure vestige de l’industrie avant les années 1970, et suite de la dérégulation du marché des télécoms
- L’entrée en vigueur de la Plaine Commune en tant que Etablissement Public Territorial de la Métropole du Grand Paris
- La concurrence continue entre Londres et Paris pour le statut de métropole européenne[3].
Qu’est-ce qu’un datacenter ?
« Les datacenters sont des sites physiques dans lesquels sont concentrés des équipements informatiques et les dispositifs technologiques nécessaires à leur fonctionnement en continu (bâti et conduites pour câbles, climatisation, filtration de l’air, distribution de l’énergie, système d’alerte incendie et d’extinction, dispositif de surveillance par caméras et/ou capteurs, entrées et sorties réseau, sécurité physique du site, etc.). La partie « ordinateurs » est généralement appelée IT (pour « information technology », prononcé à l’anglaise : « aïe-ti »), et l’ensemble (IT et hors-IT) est invariablement regroupé sous la nomenclature d’infrastructures (les « infras », dans le jargon du métier). Selon les estimations, il s’agirait de plusieurs centaines de milliers – voire millions – de mètres carrés sur le territoire français, répartis selon différents types d’opérateurs. » [4]

Schéma de principe d’un data center classique et de son environnement
Source: ALEC Plaine Commune, Août 2013
Par ailleurs, au regard de l’émergence très rapide de l’outil internet et de tous ces facteurs accumulés, le territoire de Plaine Commune assiste à une prolifération de data centers : on compte à peu près une vingtaine de data centers pour 50 à 60 en l’Ile-de-France. La plaine commune, à elle seule, représente près d’un quart à un tiers des datas centers de l’Hexagone, faisant de ce territoire un nœud d’échange international (mais également national et local) et l’une de très grandes artères télécoms en Europe, au vu de ses liaisons avec les points névralgiques du Web européen : Amsterdam, Francfort et Londres.

Source: DRIEE, Septembre 2014
Mais la présence de ces data centers en Plaine Commune soulèvent beaucoup de questionnement notamment quant aux aspects de la mobilisation du foncier (achat de terrains ne correspondant pas systématiquement à la qualification de l’activité), de fiscalité, de développement économique et surtout d’impact environnemental. En effet, il n’existe pas de cadre juridique approprié pour qualifier et réguler cette activité au sein du territoire (anciennement porteur d’industries).
Il s’en suit alors une ambiguïté sur la qualification et la taxation des data centers : sont-ils du secteur tertiaire ou sont-ils considérés comme des entrepôts et donc découlant de l’industrie ? Est-ce une taxe de service ou d’activité industrielle ?
Le fait est, qu’au nombre important de datas centers, on assiste à un changement qualitatif de l’activité qui devient alors une infrastructure industrielle mais qui n’est toujours pas reconnue par les acteurs publics, surtout qu’en 2009 la taxe professionnelle est abrogée. Les data centers ne sont plus aussi rentables pour les communes. L’ambiguïté se pare de tabou : les élus évitent d’en parler. Et le tabou est d’autant plus grand que les data centers ne requièrent que peu d’emplois (pour cause de peu de maintenance).
Cependant, ils continuent leur extension et ce en bravant parfois les contestations et plaintes des riverains mais aussi en déjouant certains enjeux (tout en restant dans la régularité) tels que la sécurité locale des quartiers (en emmagasinant des quantités de fuels très importantes dans des cuves souterraines en guise de relève pour assurer le fonctionnement continu et sans interruption des serveurs) mais aussi les enjeux environnementaux et énergétiques.
Tout ceci n’est possible que par le manque d’attention des élus voire de l’ignorance de ces derniers de ce que peut être un data center tantôt, et tantôt de leur confinement en termes de décisions politiques, rendant ainsi les data centers visibles ou invisibles en fonction des situations et des conflits inhérents à leur construction ou fonctionnement dans le territoire de Plaine Commune. Ce contexte d’indifférenciation réglementaire est d’autant plus marqué que nous assistons à une opacité totale des opérateurs numériques (hub, hébergeurs, opérateurs télécoms, GAFA, etc…) face à l’expansion furtive des bâtiments.
Il est donc intéressant, à ce stade- et dans le contexte du territoire de Plaine Commune pris aux enjeux du développement économique et de sa politique d’attractivité – de faire le point quant à l’évaluation du bien fondé de l’innovation entreprise dans ce cas en particulier, et à la qualité de l’espace public engendré à la suite de l’implantation de ces infrastructures énergivores et opaques. L’espace public ainsi créé est-il un bénéfice pour les collectivités qui ont permis la naissance de ces infrastructures ? Est-ce un espace viable pour les usagers ? Qu’en est-il des citoyens vivant à proximité directe de ces datacenters ? Et enfin quelle qualité et quelle perception du quartier par les habitants cela génère-t-il ? Autant d’interrogations qui soulèvent la question de l’utilité réelle des datacenters dans ces communes et de la réelle rentabilité (ou pas) de cette décision mais aussi celle de l’identité de celles qui les ont accueillis.
Rima El Herfi
[1] plaine Commune, Projet de Territoire, Synthèse, mars 2014, p.21
[2] Désindustrialisation : les élus de Saint-Denis ont troqué les usines contre le tertiaire, Mediapart, 7 février 2012
[3] « Comme Smart City, Paris n’a rien à envier à Londres! », Anne Hidalgo, La Tribune, 14 novembre 2018
[4] Les datacenters enfoncent le cloud enjeux: politiques et impacts environnementaux d’internet, Guillaume Carnino et Clément Marquet, Editions du Croquant,2018, p.19-62
Ouvrages de référence: Plaine Commune, Projet de Territoire, Synthèse, mars 2014, p.21
Les datacenters enfoncent le cloud enjeux: politiques et impacts environnementaux d’internet, Guillaume Carnino et Clément Marquet, Editions du Croquant,2018, p.19-62
Rapport de l’ALEC Plaine Commune, Août 2013
L‘impact spatial et énergétique des data center sur les territoires, Cécile Diguet et Fanny Lopez, avec Laurent Lefèvre, Février 2019
« Rêve de scènes urbaines »: le démonstrateur industriel pour la ville durable implanté sur le territoire de Plaine Comme (Seine-Saint-Denis), Jean-Michël Chenu, 2016, p.60 à 64
Articles de presse: Neuf nouvelles signatures sur la Charte entreprises/territoire, Le Journal de Saint-Denis, 8 décembre 2011
Désindustrialisation : les élus de Saint-Denis ont troqué les usines contre le tertiaire, Mediapart, 7 février 2012
L’envers des data centers (3/3) : « Je rêve d’un fournisseur d’emails qui soit comme l’épicerie du coin », Mediapart, 10 août 2014
La Seine-Saint-Denis, »Data Valley » du cloud français, Le Monde, 28 mai 2013
Les data centers dans le collimateur de Plaine commune (actualisé), Le Journal de Saint-Denis, Dimanche 05 novembre 2017
La fiscalité énergétique des datacenters baissera en France, Channel Business Partners, 27 septembre 2018
« Il y aura des formes de gratuité dans les transports publics à Paris » (Anne Hidalgo), La Tribune, 24 novembre 2018