Le processus de projet de la Cité du Cinéma de Saint-Denis pouvait-il amener à favoriser la qualité urbaine ?

Antoine Barth

La centrale EDF de Saint-Denis accueille aujourd’hui la Cité du Cinéma. Fondé en 1933, le site industriel a fermé ses portes dans les années 90. S’en sont suivies plusieurs années de recherche d’un programme qui pourrait occuper les lieux et faire revivre ce site ; de nombreuses idées ont été soumises (siège de sociétés spécialisées dans Internet, musée d’art contemporain,…) sans qu’elles n’aboutissent (1). Jusqu’à ce que le réalisateur Luc Besson – qui avait repéré le lieu lors du tournage du film Léon – propose à l’Etat (alors sous la présidence de Jacques Chirac) et à la ville de Saint-Denis (dont le président actuel de l’EPT Plaine Commune, Patrick Braouezec, était alors maire) son projet de Cité du Cinéma en 2003. Personne ne savait que faire de ce site, le projet tombe bien : il reçoit un soutien direct de la municipalité qui y perçoit de potentiels retombées et de l’Etat, au travers du gouvernement Raffarin, qui l’inscrit dans les 50 projets engagés par le Comité Interministériel d’Aménagement et de Développement du Territoire (CIADT) afin de « donner un coup de fouet au cinéma français ».

Carte postale de la centrale de Saint-Denis vers 1915
Collections Archives départementales de la Seine-Saint-Denis

Si le processus de projet a la capacité de fédérer les acteurs (Etat, collectivité et Europacorp, société dirigée par Luc Besson) en réduisant les oppositions partisanes, il n’en est pas moins soumis à des incertitudes, notamment sur le plan du financement (2). La recherche d’investissements va alors rythmer et influencer le projet : des acteurs rejoignent le processus, d’autres le quittent, les parts de chacun sont réévaluées à plusieurs reprises pour finalement s’accorder autour de Nef Lumières (une société regroupant la Caisse des Dépôts et Vinci) et de Europacorp. La réalisation du projet sera bien plus longue que prévue, des soutiens marqués de la part de personnalités politiques comme Nicolas Sarkozy ou François Fillon, la modification du programme par l’ajout de l’Ecole Louis Lumière ainsi qu’un financement de plus en plus conséquent de la Caisse des Dépôts (qui amènera à la question de l’indépendance de l’institution vis-à-vis du politique) seront nécessaires pour que le projet voit le jour.

C’est en considérant les intérêts de chaque partie dans la réalisation de ce projet que l’on peut trouver les motivations qui expliquent qu’il ait été mené à bien. Le processus de projet rend les différents acteurs interdépendants, leurs intérêts peuvent, quant à eux, être variés. Dans ce projet, l’Etat n’est pas planificateur ; il doit plutôt être perçu comme un acteur arbitre qui promulgue un soutien répété et efficace lors des moments d’incertitude. Il possède une vision pour le site qui existait avant le projet et qui continue d’influencer les programmes du secteur : doter le nord de Paris d’un pôle audiovisuel. Son intérêt est alors que le projet de Cité du Cinéma s’inscrive en et participe d’une dynamique plus large. Les ambitions de la ville de Saint-Denis et de Plaine-Commune, sans être en contradiction avec celles de l’Etat sont autres. Pour Patrick Braouezec, il s’agit avant tout de se servir des dynamiques de projet pour en dégager des retombées plus larges. Sur le plan de l’urbain, il s’agit de se servir du projet pour accompagner un travail de recomposition urbaine à l’échelle du quartier. Sur le plan économique, le projet est vu comme un équipement structurant qui, de par sa taille, sera à l’origine de création d’emplois et d’attractivité. Enfin, sur le plan politique, ce projet doit lui permettre de fédérer de manière horizontale les acteurs locaux (en associant des coalitions aux orientations différentes au projet) et de manière verticale (en sollicitant le gouvernement). Avec Luc Besson et sa société Europacorp, on identifie également des enjeux différents : la volonté affichée est de doter le cinéma français de studios compétitifs pour lui conférer un rayonnement international. Le développement de sa propre notoriété est un intérêt qui peut aussi lui être associé étant donné le travail de mise en scène et de branding important autour du nouvel équipement. La relation d’interdépendance liée au processus de projet permettra de fédérer les auteurs malgré des intérêts divergents ; on note toutefois que peu d’entre eux portent la qualité urbaine comme un critère prioritaire. Quels seront les résultats de cette prévalence d’enjeux relatifs au développement économique sur l’espace vécu ?

L’agence d’architectes et d’urbanistes Reichen et Robert & Associés est désignée pour réaliser le projet de requalification de la centrale EDF et des espaces avoisinants en 2004 après que l’agence Chaix & Morel et Associés ait été remerciée. Les architectes et urbanistes transforment la grande nef de l’ancienne usine en une vaste galerie qui dessert les différents programmes de la Cité du Cinéma : studios, bureaux, cafétéria, salles de cours de l’école Louis Lumière, amphithéâtres. Ils proclament un « imaginaire totalement ouvert » qui prévaut sur un « programme, à priori, introverti » (3). La réalité est tout autre. Positionné entre la ville de Saint-Denis et la centralité marquée par la tour Pleyel et la Seine, la Cité du Cinéma fait le choix de l’isolement en ce ceinturant de clôtures sur ses quatre faces. Le projet ne vient, à aucun moment, chercher un rapport à la rue et à l’espace public pour créer une forme d’urbanité. Pire encore, sa façade est (sur la rue Ampère) orientée vers le carrefour Pleyel accueille le stationnement de l’équipement et est en décaissé vis-à-vis du niveau de la rue alors qu’un effort aurait pu être fait pour lier le niveau de la Seine (à l’ouest) et celui de la ville. Le site ne se traverse pas et ne se visite que sur réservation. Alors que le projet aurait pu être pensé comme un prolongement de l’espace public (sans l’être forcément administrativement parlant), offrir à voir et à vivre le patrimoine industriel de la ville, être un élément décisif de la recomposition urbaine du quartier Pleyel, il a, au contraire, conserver voire intensifier le cloisonnement du secteur. L’importance accordée aux critères économiques par les différents acteurs dans le processus du projet peut être considérée comme l’une des raisons de ce déni de la qualité urbaine.

Le projet de Cité du Cinéma avec la Seine à l’ouest, le parking sur la façade est et une rue privée sur la façade sud
Reichen et Robert & Associés
Vue de la façade est : la différence de niveau entre le niveau de la Cité du Cinéma et celui de la rue est conséquente
Document de l’auteur

Pour les Jeux Olympiques de 2024, la Cité du Cinéma accueillera le coeur du village olympique et la nef du projet servira de lieu de restauration pour les athlètes. Les logements conçus pour ces derniers à coté de la Cité du Cinéma seront reconvertis en «éco-cité de la boucle de Seine» d’une capacité de 3500 logements (4). Espérons que ce nouvel aménagement parviendra à dépasser l’introspection de la Cité du Cinéma pour, enfin, relier le quartier Pleyel à la Seine.

(1) Vulser, N., « La Cité du cinéma de Luc Besson prend forme », Le Monde, 31.12.05, p.20
(2) Pinson, G., « Projets de ville et gouvernance urbaine. Pluralisation des espaces politiques et recomposition d’une capacité d’action collective dans les villes européennes », Revue française de science politique, 2006/4 (Vol. 56), p.647
(3) Reichen et Robert & Associés, La Cité du Cinéma : Reconversion de l’ancienne centrale EDF de Saint-Denis. Disponible en ligne : https://www.reichen-robert.fr/fr/projet/la-cite-du-cinema
(4) Gicquiau, A., « JO 2024 : le coeur du village olympique situé dans la Cité du cinéma », Le Figaro Immobilier, 11.07.17, MàJ : 31.10.17. Disponible en ligne : https://immobilier.lefigaro.fr/article/jo-de-paris-le-coeur-du-village-olympique-situe-dans-la-cite-du-cinema_86f719b4-654c-11e7-8d20-2d6ece4fe616/

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