La politique de Patrimonialisation en Seine-Saint-Denis

« L’économique devient culturel, la culture est relation et le tout engendre du symbolique» Pinçon-Charlot M. Pinçon M. , Châteaux et châtelains, 2005.

Si il est unanimement entendu que le patrimoine relève du bien commun, ce qui en est, ou n’en est pas, fait toujours débat. Le prestige intrinsèque à cette notion met en valeur à travers elle un bâti, un espace, un usage, ou une société. Sa politisation a de mêmes plusieurs fonctions, Vincent Veschambre en distingue trois. La fonction identitaire renvoie au lien social, à l’appropriation d’une histoire comme commune. La fonction valorisante renvoie aux retombées économiques à travers le tourisme et la plus-value foncière. La fonction légitimante renvoie aux capacités d’intervention, d’infléchissement de l’aménagement de l’espace que justifie la patrimonialisation.

L’hypothèse qui est faîte par S.Cousin, G.Djament-Tran, M.Gravari-Barbas et S.Jacquot est la suivante, le patrimoine et le tourisme peuvent jouer un rôle déterminant dans les territoires «périphériques», en tant qu’ils peuvent constituer des expérimentations d’actions publiques. Dans le cas de Saint-Denis, cette politique relève-t-elle d’une stratégie entrepreneuriale de développement, une approche par le prisme économique importée d’autres territoires, ou une une expérimentation alternative à travers une identité spécifique ? 

La Seine Saint-Denis a on le sait un passé fortement industriel, qui depuis les années 1970 est en difficulté de par la tertiarisation généralisée de l’économie. C’est à cette époque que l’adjoint au maire communiste Maurice Soucheyre développe une politique volontariste du patrimoine. En effet jusqu’en 1980, l’Etat ne reconnaît comme patrimoine que les rares exemples périphériques des typologies patrimoniales « nobles » édictées au coeur de la capitale. La basilique Saint-Denis, nécropole des rois de France est classée monument historique dès 1862. Elle se trouve ainsi inscrite sur la liste indicative française du Patrimoine Mondial de l’Unesco en 1996.

Mais parallèlement, une liste municipale des urgences patrimoniales à protéger est établie. Cette actualisation du patrimoine commence avec succès par le réemploi de l’ancien Carmel en Musée d’art et d’histoire. Inauguré en mai 1981, il obtient le prix du musée européen de l’année en 1982. La SEM Plaine développement et le CAUE 93 réalisent par la suite en 1993 un inventaire du patrimoine industriel de la Plaine Saint Denis qui identifie 38 sites à Saint-Denis.

La Cité du cinéma de Luc Besson occupe le site de la centrale thermique II de Saint-Denis construite en 1930 et rénovée par Reichen et Robert en 2012. L’opération a entraîné la démolition des silos à charbons tout en garantissant la conservation des volumes de l’ancienne centrale. Les couleurs des façades ont été respectées, le carrelage d’origine reconstitué, certaines machines conservées insitu. Ces choix architecturaux sont loin de faire consensus.


L’Architecte des Bâtiments de France de Seine Saint-Denis qualifiait ce réemploi d’« ambivalent », tandis que le Service du Patrimoine Général de Seine Saint-Denis estimait le compromis plutôt satisfaisant. On voit bien ici la première difficulté que pose la réemploi d’une forme patrimoniale, dans la subjectivisation de ce qui « mérite » d’être conservé.

Les « Cathédrales du rail » (c.f. images d’en tête) démontrent en ce sens la difficulté du processus de reconnaissance de ce qui est patrimoine. Ces vastes hangars en friche depuis 25 ans sont inscrites depuis 2004 à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques après une mobilisation associative intense. Toutefois sa programmation est encore en discussion. Dans les «petites cathédrales» est actuellement envisagée l’installation d’un pôle d’équipements publics.  

Dans les « grandes cathédrales », trois options sont actuellement à l’étude : l’installation de l’école d’architecture de la Villette, ou de l’entreprise Chenue spécialisée dans la logistique d’œuvres d’art et déjà présente à Saint-Denis, ou la reconversion en logements. Une convention entre Plaine Commune et la SNCF, propriétaire des terrains, a déjà été signée ; les études sont sur le point de commencer. Mais des incertitudes demeurent quant à la faisabilité économiques du projet, tandis que la dégradation naturelle du bâti suit son cours.

Parfois, les destructions sont si poussées qu’il ne s’agit plus de restaurer ou de réactualiser une architecture. Il est alors question de suggestions dans une idée de référentiel patrimonial. Le Groupe scolaire Casarès-Doisneau, construit à la frontière entre Saint-Denis et Aubervilliers, est un bon exemple. Vincent Pereira conserve ainsi une cheminée en brique en sémiophores au coeur du projet, et la pare d’un liseré hélicoïdal doré. 

Il y a donc en Seine Saint Denis  la reconnaissance d’un nouveau patrimoine, et une approche différenciée de mise en valeur. Il ne s’agit pas simplement de rénover dans un but de conservation, mais parfois ré-interpréter dans une forme d’actualisation, ou rendre hommage par un détail architectural en quête de référentiel. Les débats que suscitent les interprétations architecturales ne sont pas nés d’aujourd’hui, on reconnaît des positions déjà connues sous Viollet-le-duc dans les limites imposées par l’exercice de la restauration. Mais ils sont ici intéressants car mis à jour par une dimension sociale de la culture urbaine. Il est fondamentale de noter que ces politiques prennent initiatives parmi les acteurs politiques locaux, ou à travers des mobilisations associatives. Mais si la notion de “par qui” est opéré la patrimonialisation est intéressante, il est primordiale de s’intéresser également au “pour qui” s’adresse cette politique. 

Le chantier de la flèche de Saint Denis encore en débat est voulu si il s’ouvre un jour comme un chantier de réinsertion. Le patrimoine est donc ici utilisé comme un levier de politiques sociales. De même au cours de la restauration de la cité-jardin de Stains, une chargée de mission a été recrutée afin faciliter la mise en oeuvre de projets communautaires comme la foire des savoirs-faire en 2013. Elle était d’ailleurs auparavant salariée à la Villa Mais d’Ici, Friche Culturelle de Proximité, à Aubervilliers, autre expérience au croisement entre activisme culturel et social.

L’association Accueil banlieues organise l’accueil de touristes chez l’habitant dans les banlieues nord, depuis 2010, afin de permettre une solution d’hébergement bons marché. L’association Franciade quant à elle réalise et commercialise des objets inspirés au départ des découvertes archéologiques proches de la basilique de Saint-Denis, puis renvoyant au patrimoine local de façon plus large, tel que la cité jardin de Stains entre autre. Elle s’appuie sur les compétences artisanales et artistiques présentes sur le territoire et a en ce sens bénéficié d’un projet EQUAL financé par le Fonds Social Européen.

On peut donc en conclure que ces politiques ne s’inscrivent pas explicitement dans une dynamique bottom-up, mais dans un brouillage des frontières entre le public et le militant. Elles constituent une hybridation entre politiques patrimoniales et touristiques d’une part, économie sociale et solidaire d’autre part. La portée symbolique de la politique de patrimonialisation est donc double. 

Saint Denis semble avoir pris en ce sens toute la portée de ses actions. Il conviendra donc d’être attentif à l’avenir au résultat de ces expérimentations d’actions publiques. Aujourd’hui l’institutionnalisation de ces politiques créatives alternatives est encore en question parmi d’autres. Peux t’on réellement créer une plue value urbaine, à travers une politique patrimoniale et culturelle, afin d’améliorer le cadre de vie de toutes et tous, sans générer d’initiatives de captation privée de cette valeur ? Autrement dit, est-il possible d’éviter l’expulsion des populations défavorisées des quartiers périphériques restaurés ? La gentrification telle qu’on la connaît aujourd’hui est-elle inéluctable, ou au contraire une autre forme de mixité sociale est-elle à l’oeuvre, non ségrégante et plus cosmopolite ?

Bibliographie 

Saskia Cousin, Géraldine Djament-Tran, Maria Gravari-Barbas et Sébastien Jacquot, Contre la métropole créative … tout contre. Les politiques patrimoniales et touristiques de Plaine Commune, Seine-Saint-Denis, Métropoles, 15 décembre 2015.

Géraldine Djament‑Tran, La reconstruction culturelle, patrimoniale et touristique des quartiers péricentraux désindustrialisés : les standards et mythes de la « créativité » à l’épreuve de trajectoires urbaines incertaines, Bulletin de l’association de géographes français, 2013, pages 153 à 169.

Géraldine Djament-Tran, L’actualisation du patrimoine face à la métropolisation, Le cas de Saint-Denis, « L’Information géographique », Armand Colin Revues, Vol. 79, 2015, pages 41 à 54.

Vincent Veschambre, Le processus de patrimonialisation : revalorisation, appropriation et marquage de l’espace, Vox geographica, Les cafés géographiques, 2 novembre 2007.

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