Le retour à la Seine : identité et commun

La construction des villes fluviales est intimement liée à la manière de percevoir les fleuves, à l’identité et la fonction qui lui sont admises. La reconquête des cours d’eau pour aménager la ville témoigne, aujourd’hui, de l’importance nouvelle données à ces éléments environnementaux comme axe structurant dans le projet urbain redonnant au fleuve et à ses berges une dimension d’espace public. Dans la « Course actuelle à l’identité et à l’image de la ville », déjà en 1990, Marcel Roncayolo analysait les stratégies d’intégration urbaine. Il n’est pas surprenant que le projet de territoire de Plaine Commune, traversée par la Seine, soit ainsi marqué par le discours d’un retour au fleuve. Cette identité fluviale agit comme un référentiel encadrant les opérations d’aménagement situées en bord de Seine. L’écoquartier fluvial de l’Ile Saint-Denis illustre le renouveau de la relation ville-fleuve qui trouve à se matérialiser par un traitement spécifique réservé aux espaces publics sur berge. La vitesse est réglementée, la diversité des modes de déplacement est encouragée. La lenteur est dès lors utilisée comme le moyen de la reconstruction du fleuve et de ses berges comme communs.

La relation ville-fleuve en Seine-Saint-Denis

  • La déconnexion-reconnexion

La relation ville-port est consubstantielle au développement des villes fluviales. La synchronie de la construction de nouveaux ports, le long de la Seine, et du rythme de l’agrandissement de Paris, témoigne de ce rapport d’interdépendance économique. La proximité spatiale incite aux efforts de domestication du fleuve pour en maîtriser ses crues et le rendre navigable plus aisément.

En son aval, l’urbanisation industrielle des bords de Seine de la Plaine Saint-Denis préfigure la coupure entre les espaces maritimes/fluviaux et urbains qui ne sera pleinement consommée qu’au XXe siècle. La déconnexion progressive s’inscrit dans le processus plus général du zonage fonctionnel de l’organisation spatiale. Les berges ne sont plus identifiées que comme des espaces de cohabitation entre des activités industrialo-portuaires et de circulation.

Cette déconnexion est de trois ordres : physique, institutionnelle et économique, selon Peter Hal. A l’échelle nationale, la séparation des espaces portuaires et urbains, le retrait partiel de l’action publique locale dans la gestion portuaire et la réduction de la valeur ajoutée portuaire pour les espaces environnants sont caractéristiques de ce délaissement. Les villes sont devenues avec le temps déshydratées, le fleuve productif et les berges occupées par des infrastructures et les routes.

  • La Seine, territoire de projets

Le mouvement de désindustrialisation et le paradigme du développement durable appellent à donner de nouvelles fonctions aux berges de la Seine, en adéquation autant avec les économies contemporaines, les besoins de logement du territoire qu’avec les préoccupations environnementales. Les friches fluviales de la Seine-Saint-Denis deviennent dès lors de nouveaux espaces de projet ventant la vertu de l’eau.

La reconnexion ville-fleuve à Plaine Commune, comme élément de référence collective est, elle-même, inscrite dans une stratégie globale métropolitaine. La dimension identitaire du fleuve et des friches industrialo-portuaire est portée dans les discours les envisageant comme des éléments de mémoire du lieu et des biens dès lors de récréation.

Les friches sont réaménagées, les bâtiments patrimoniaux sont réhabilités. Deux écoquartiers et un village olympique se fabriquent en lieu et place de l’avant-port de Saint-Ouen, des entrepôts Printemps et La Fayette sur l’Ile-Saint-Denis, et d’une zone d’activités à Saint-Denis, une cité du cinéma s’invente dans l’ancienne centrale thermique EDF, une brasserie barge se conçoit dans les écuries de La Briche à Saint-Denis

L’éco quartier fluvial, affirmation d’une identité

  • Le fleuve et l’espace public

L’affirmation de l’identité éco et fluviale du projet d’aménagement d’un quartier de Île-Saint-Denis, reconnectant le sud de l’île avec la centralité principale, témoigne d’un contexte marqué par un discours faisant état du changement climatique et incitant à la durabilité des pratiques et à la dissolution de l’identité locale.

Si les projets d’aménagement des berges des cours d’eau ne suggèrent pas nécessairement une valorisation du territoire fluvial par l’immobilier, le projet d’urbanisme d’Ile Saint-Denis repose autant sur une approche immobilière qu’une approche identitaire. C’est peut-être en cela que le fleuve semble ici être un élément structurant et fédérateur des nombreuses partie-prenantes. Le fleuve devient un espace public « naturel » de proximité qui légitime alors la densification.

L’identité fluviale du site est valorisée à travers un certain traitement des eaux fluviales et un aménagement des berges de Seine donnant une matérialité à des espaces publics. Une place et des espaces verts s’ouvrent sur la Seine L’utilisation de codes propres ces éléments rend possible l’identification des berges comme espace public. Si l’espace public invite à l’arrêt, le plan d’aménagement prévoit la création d’un espace public dédiée à la mobilité.  L’espace public des voies sur berges sont réservées pour l’une exclusivement aux cheminements piéton.

  • La lenteur et le commun

Les berges et le fleuve, dépassant la dichotomie public-privé, entendent être considérés comme biens communs. La lenteur, qui apparaît désormais comme une « innovation » pour mener une nouvelle transition urbaine, est susceptible de reconstruire ces communs oubliés. La valorisation des mobilités douces et la réduction de vitesse des véhicules motorisés ainsi que la place publique et les espaces verts, en bordure fluviale, concrétisent la lenteur et ainsi invitent à se réapproprier le fleuve pour considérer la nature comme commun.

L’identité fluviale, comme identité de lieu, est travaillée par les architectes-urbanistes de Philippon & Kalt, qui essaient, par le traitement réservé aux espaces, de susciter le sentiment d’appartenance. L’environnement approprié joue ainsi un rôle de référence fondamentale.

Le traitement des espaces publics joue un rôle déterminant dans le renouvellement des représentations et des usages pour reprendre en ses termes Duartes et Seigneuret. Le fleuve est en passe de jouer un rôle d’image urbaine à Plaine Commune, véhiculant l’idée d’une nature patrimoniale aux futures usagers.

Bibliographie

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Le fleuve dans la ville – La valorisation des berges en milieu urbain, octobre 2006, DIRECTION GÉNÉRALE DE L’URBANISME, DE L’HABITAT ET DE LA CONSTRUCTION CENTRE DE DOCUMENTATION DE L’URBANISME

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