
S’il est aisé de définir les espaces publics structurants au sein de la ville de Paris intra-muros, les lieux de contestation, de manifestation et de rassemblement étant clairement identifiés, on ne peut pas en dire autant une fois le Boulevard Périphérique dépassé.
En banlieue, extension urbaine ayant peu à peu assimilée d’anciens noyaux bâtis plus anciens, ces lieux si importants dans la lecture de l’espace urbain se font plus rares.
Au sein de Plaine Commune, territoire qui nous intéresse ici, il serait tentant d’imaginer le Stade de France susceptible d’endosser cette fonction. Lors d’un match ou de toute autre manifestation, il devient en effet une centralité exacerbée dans la ville vers laquelle tout le monde converge.
Mais à y regarder de plus près, avec ses abords démesurés et ses grilles fermées, il s’apparente davantage à une vaste structure intraversable au quotidien. Cette occasion manquée pour le territoire de Plaine Commune pose en elle la question plus vaste de la délicate insertion des stades dans la ville.
Grands, intraversables, rarement animés, les stades répondent à toutes les caractéristiques de l’enclave et des conséquences qui vont avec : abords fermés, inanimés, repoussants.
Traiter de l’insertion d’un stade dans la ville c’est en premier lieu identifier les facteurs permettant de lutter contre sa nature même d’enclave. L’histoire nous en propose deux : limiter sa taille et augmenter le gradient d’ouverture de ses façades.
La taille de l’équipement
Le stade moderne tel que nous le connaissons provient en réalité d’un « métissage »1 d’archétypes antiques. Le Colisée de Rome est toujours debout. L’espace central de combat, l’aréna, est avec des dimensions de 75 x 44m2 légèrement plus restreint qu’un terrain de football occupant la majorité des stades aujourd’hui. L’édifice, long de 189 mètres et large de 156 mètres est plus compact que le stade antique de Domitien. Ce dernier, maintes fois transformé au cours de son histoire, laisse place aujourd’hui à la Piazza Navona, reprenant précisément son implantation initiale. Construit peu de temps après le Colisée sur l’ancien Champs de Mars, ses dimensions extérieures sont de 275 x 106m.3
Les dimensions du Stade de France (330 x 285m) témoignent d’un relatif accroissement au fil du temps d’un tel équipement. Il convient toutefois de relativiser cet écart, le plus grand stade français accueillant en effet 30.000 spectateurs de plus que le Colisée. Implanté sur un socle de parkings et situé en retrait des rues qui le bordent derrière un vaste linéaire de grilles, la simple mesure de l’objet Stade de France ici ne suffit pas. Pour tenir véritablement compte de l’insertion d’un stade dans la ville, de sa place d’enclave, il convient de s’intéresser à la taille réelle de son implantation, celle de son enclos (ici 355 x 330m).
Si un stade possède par nature des dimensions importantes, elles demeurent tout à fait assimilables dans un tissu urbain. Les références à la ville romaine en attestent. La marge de manœuvre s’avère être davantage dans les espaces connexes au stade ; dans un contexte d’hégémonie routière encore dominant dans nos villes, ces espaces concernent le stationnement automobile en tout premier lieu. Qu’ils soient traités sous forme de socle comme au Stade de France ou de vastes parkings en surface dans bien d’autres exemples (à commencer par Lyon et Bordeaux, deux grands stades récemment construits en France), ils augmentent de manière considérable la taille de l’équipement. S’en dispenser nécessite de disposer d’une accessibilité alternative à la voiture individuelle efficace. L’exemple de l’U Arena à La Défense, à proximité immédiate du plus gros hub de transport européen est en ce sens exemplaire. Ainsi desservis, les espaces de stationnement spatiophages peuvent être considérablement réduits, voire complètement supprimés.
Amoindrir la taille d’une enclave, c’est limiter un facteur aggravant en retissant du lien. Il s’agit en somme de fragmenter pour mieux absorber. Reste à résoudre la question du gradient d’ouverture des façades.



Le gradient d’ouverture de ses façades
Dans une tribune publiée dans le quotidien sportif L’Equipe en 2010, Jean Nouvel partageait sa vision du stade idéal, et son appel était clair : il faut faire de cet édifice « un lieu de vie permanent. 4 »
Dans la Rome Antique déjà, à l’image du Circus Maximus, les abords de ces grands équipements sont des espaces animés. Ses façades, à l’alignement des rues, sont un lieu d’interaction quotidien avec la ville : « À Rome, échoppes de marchands et gargotes se multiplient autour et même dans les flancs extérieurs du Circus Maximus.5» Ces grands équipements dénotent de par leur taille dans le tissu urbain de la Rome Antique ; ils n’en restent pas moins des édifices ouverts et animés, de véritables lieux de vie.
Une telle réinterprétation contemporaine existe. Initiée dans de trop rares projets, elle consiste à greffer un ensemble de programmes complémentaires, au sein même de l’édifice (un musée dans le cas de Madrid) ou accolé à proximité immédiate de ses façades (un centre commercial surmonté d’une résidence pour seniors à Bâle). Ces façades, plus perméables que de simples arrières de gradins, participent à l’animation urbaine.
Confronté à une situation de rareté foncière extrême, l’exemple de Monaco s’affirme actuellement comme le modèle le plus abouti et pourrait fixer un cap à suivre. Le stade Louis II inauguré en 1985, se démarque par la compacité de sa programmation sur une emprise bâtie très limitée. Au sein de ce bloc compact (220m de long sur 155m de large), le stade de 18.000 places accueille outre un complexe sportif diversifié (une salle omnisports, un gymnase scolaire, un dojo, une salle de musculation…), un centre aquatique, un ensemble de bureaux, un restaurant ainsi qu’une annexe universitaire.6 En composant avec les différents publics ciblés et les temporalités complémentaires de son programme, il a tout pour être fréquenté au jour le jour.
Plus, bien plus que la carcasse désespérément vide et isolée du Stade de France…


1 Les espaces du sport, François Vigneau, p.26.
2 Roman Coliseum – Wikiarquitectura – https://en.wikiarquitectura.com/building /roman-coliseum/
3 Le stade de Domitien: situation topographique, étude architecturale – http:// journals.openedition.org/mefrm/1862
4 Journal L’Équipe, n°20 000 – Vendredi 10 avril 2009, p.3.
5 Les espaces du sport, François Vigneau, p.37-38.
6 Présentation du Stade Louis II – Site officiel – http://www.stadelouis2. Mc/ presentation/