
Les stades sont des lieux de culte de la performance sportive et plus largement du spectacle. Espaces intermédiaires, à la fois publics et privés, ils constituent le cadre d’action pour les spectateurs et supporters qui s’y expriment périodiquement.
De l’éphémère au pérenne
Les grands évènements culturels, tels que les jeux olympiques, représentent des opportunités de développement urbain. Cela dit, le passage d’une grande manifestation sportive sur une temporalité ponctuelle à un levier de dynamique urbaine sur une temporalité longue, nécessite un projet cohérent porté par un montage partenarial et financier fort. Dans le cas du stade de France, c’est l’organisation du Mondial 98 qui a légitimé l’insertion de cet équipement d’ampleur dans un espace de banlieue en transformation, dessiné par les infrastructures.
Le stade, un monument politique et symbolique
Projets substantiellement politiques, ils structurent leur territoire d’adoption, leur image, et leur représentation à plusieurs échelles. Le stade de France est l’occasion pour Paris de s’affirmer dans la concurrence des grandes villes du monde, comme la candidature aux JO.
De manière plus locale, c’est l’occasion pour Saint-Denis de renouveler, fabriquer son image de ville en action, forte d’initiatives. Aux yeux des pouvoirs publics, le stade fait l’objet d’un projet mobilisateur qui vise à rassembler les habitants autour de valeurs identitaires. Une identité locale pour les habitants autant qu’une image de marque pour l’extérieur dans un objectif de reconnaissance internationale.
« On nous demandait un stade qui ne se replie pas mais s’ouvre de manière bien perceptible sur la ville. Cette silhouette devait s’avérer emblématique vue de l’autoroute toute proche. Enfin, le stade devait déboucher sur le panorama extérieur, dont la basilique de Saint-Denis, pour renforcer cette ouverture à la ville, à tous, dont les riverains qui, même s’ils ne vont pas au stade, ne devaient pas se retrouver avec un mur de béton devant eux. L’ambition des commanditaires était de donner à travers ce stade une image valorisante de la France» [1]
Le stade, un objet autonome et centripète
Le stade est toutefois un écrin, un espace refermé sur lui-même, une arène pour la ville qui l’abrite. Dans le cas du stade de France, de par sa faible diversité de pratiques, et par son implantation au cœur d’autoroutes, le stade fabrique difficilement de l’urbanité et de la mixité. Cela s’ajoute au traitement de son parvis, vaste étendue minérale et désertique, qui plus est, clôturée et donc inaccessible la majeure partie du temps. Bien que le stade soit propriété de l’État, son parvis ne peut être qualifié d’espace public, qui par définition constitue un lieu où les hommes et les femmes sont tous libres et égaux d’aller et venir. Cette accessibilité universelle est la plus grande qualité d’un espace public, d’après Jacques Lévy[2] qui définit ainsi le terme « public ». C’est ici le cœur d’un échec : faire du parvis une place où le public serait libre de déambuler et d’accéder aux commerces prévus dans les soubassements. Échec au nom de la gestion et de la sécurité. C’est sans compter sur le fait qu’un stade, par définition et pour répondre aux impératifs du standard du sport, se développe hors sol, ignorant son contexte, qu’il soit urbain ou culturel. En dehors des évènements, qui transforment ce Colisée des temps modernes en une centralité majeure, un théâtre fortement convoité, il forme la plupart du temps une immense coquille vide.

Le stade de France et la naissance d’un quartier
Saint Denis a la spécificité de s’urbaniser par strates et étapes successives depuis le XIXème siècle, dictant chaque fois une échelle et un ordre propre. En premier lieu se sont implantées des infrastructures industrielles lourdes. Cette structure urbaine caractérisée par des grandes entreprises de production n’a pas échappé à la désindustrialisation dans les années 1960, et ce, libérant de vastes emprises foncières. L’établissement du réseau de transport, entre chemin de fer et autoroutes, a engendré de nombreuses coupures urbaines, difficilement franchissables, créant de nombreuses enclaves sur le territoire.
Le stade de France s’implante sur une de ces friches industrielles, propriété de la ville de Paris. Le choix du site en région parisienne, ayant fait preuve de nombreuses hésitations de la part de l’État, s’appuie sur des opportunités foncières autant que sur la prévision d’un futur projet urbain.

La préexistance d’un projet urbain au stade de France
En effet, au début des années 1990, Aubervilliers et Saint Denis s’associaient dans la définition d’un projet urbain confié aux concepteurs du groupe Hippodamos qui intégrera le Stade de France. Dès lors, ces collectivités revendiquent, de manière encore inédite, une culture du collectif outrepassant les clivages politiques, car elles sont conscientes de l’intérêt de se rassembler autour d’un projet de revitalisation économique, sociale et urbaine.
Le plan d’urbanisme, document guide, énonce les orientations formelles consistant à retracer un réseau dense viaire et d’espace public, une trame végétale ainsi qu’à reconstituer le système d’îlots pour développer de la mixité fonctionnelle. Le traitement de l’espace public quasi ex-nihilo représente dès l’origine le fondement majeur du projet urbain, puisqu’il est considéré comme le maillon manquant entre les fonctions jusqu’alors décousues que sont les entreprises et les logements.

Cette maîtrise de I‘espace public se veut uniforme sur I‘ensemble du territoire pour, inversement favoriser une souplesse d’implantation sur les parcelles privées. En effet, au vu du coût de cet aménagement notamment, il s’agit d’attirer les entreprises, et à terme les promoteurs et les investisseurs, en recyclant les friches industrielles.

L’insertion délicate du Stade de France, une histoire politique entre partenariats et négociations
Le Mondial 98, est attribué à la France dès juillet 1992, puis il s’agit de choisir le lieu d’implantation du stade, argument majeur de la candidature. C’est seulement en 1993 que Saint Denis se voit attribuer par l’Etat et sans en avoir été candidat, l’implantation de son grand stade, sur une friche industrielle laissée vacante par le départ d’anciennes cokeries, propriété de la ville de Paris. Cette décision de l’état s’appuie sur des opportunités foncières autant que sur la prévision du projet urbain susmentionné et alors en latence. Réaliser ce stade marque sa remise en route et sa révision pour intégrer ce gigantesque objet.
» Cet équipement doit prendre place dans un dispositif dont l’élaboration remonte à trois années « [1] précise Patrick Braouezec en 1994
Cette stratégie de non-candidature à la compétition du site, lui a été clairement favorable dans la suite pour négocier et imposer ses différentes conditions. La ville compte bénéficier des retombées de la synergie de cet équipement et contractualise ses conditions dans un cahier des charges, lui-même remis au gouvernement. Cette position de force engendrant des négociations à succès est le fruit du travail urbain en amont lui permettant d’annoncer une vision cohérente de l’avenir de son territoire.
Du point de vue des municipalités, outre le Stade, l’objectif est urbain : créer de l’emploi et répondre aux besoins résidentiels des locaux. Le Stade de France a constitué la première concrétisation de ce projet urbain en stagnation et ainsi une opportunité de mobiliser les financements de l’État pour sa réalisation. En effet, les élus obtiennent de l’État la desserte en transport en commun qui tardait à sortir de terre. C’est le prolongement du métro et la création de deux gare RER, ainsi que la couverture de l’autoroute A1, permettant de ressouder le territoire fracturé en réorganisant en surface l’avenue du Président Wilson sous forme de promenade plantée. Au-delà de ces infrastructures d’accompagnement du stade, les élus obtiennent également la conception d’un véritable quartier alentour.
Toutefois, le processus de la mise en œuvre au niveau local n’a pas été si linéaire. Si pour la ville de Saint Denis le stade était clairement qu’une étape intermédiaire d’une autre finalité́ à plusieurs dimensions : l’aménagement urbain et l’insertion sociale. En effet, l’État, de par ses actes, laissait à penser qu’il considérait davantage le stade comme une finalité propre. En effet, l’État tarde, à plusieurs reprises, à honorer ses engagements notamment financiers pour l’aménagement urbain ambitieux, révélant son manque d’implication. Concrètement, les élus lui réclament davantage de participation financière et sa garantie aux interventions de la SEM. Leurs actions pour faire respecter les promesses initiales de l’Etat sont d’émettre des réserves sur le permis de construire du Stade.
Toutefois, dans le contexte d’Etat centralisé, les moyens de pressions de Saint Denis restent limités, si la ville avait persisté dans son refus de construire le stade sur le site de sa commune, le gouvernement aurait pu mettre en œuvre la procédure de projet d’intérêt général. Ou encore à une étape ultérieure, le préfet aurait pu passer outre l’avis défavorable du maire concernant le permis de construire. La ville de Saint Denis, dans son rôle de fonctionnaire de terrain dispose d’une marge de manœuvre pouvant modifier la décision mais elle ne peut que difficilement l’annuler.
[1] Propos recueillis par Alain Echegut dans Les Echos, La Plaine-Saint-Denis lance son projet urbain, 10 janvier 1994
Les intérêts des villes comme de l’État font consensus : un Stade pour transformer une banlieue en difficulté. En effet, cette nouvelle valeur urbaine attribuée au secteur entraine nécessairement un effet levier sur la mutation de l’espace urbain et contribue à désenclaver cet énorme site de 700 hectares. Le stade donne dès lors de la valeur aux espaces fonciers et aux biens immobiliers environnants et développe ainsi une finalité plus globale que l’édifice en lui même en s’inscrivant dans les « projets directeurs »[3] au sens employé par François Ascher.

Véritable déclencheur du réaménagement urbain avec notamment l’implantation annexe de grands commerces, d’équipements, logements, d’immeubles tertiaires, le Stade de France confère au site initialement industriel un rayonnement métropolitain.
D’après Pinson les projets urbains courent à la notoriété, à la concurrence territoriale en ce qu’ils « constituent des opérations de régénération urbaine visant à requalifier des « morceaux » de ville situés souvent dans le centre des agglomérations, à valoriser les qualités particulières des lieux (présence de l’eau, patrimoine architectural, friches industrielles) et à doter la ville d’équipements de prestige lui permettant de se positionner favorablement dans la compétition interurbaine. »[4]
À l’échelle locale, le stade de France s’est désormais ancré dans les mentalités des riverains qui éprouvent une certaine fierté à l’égard de ce projet culte, caractère partisan que l’on peut illustrer par cet habitant du Landy qui annonce « habiter à côté du Stade de France »[1] plutôt qu’à Aubervilliers. Cela prouve la naissance d’un quartier du stade de France au sens de Jean-Yves Authier[2], comme cadre de référence, lieu d’attachement. À l’échelle métropolitaine, voir internationale, le quartier devient le stade, comme le prouve son insertion comme étape dans circuits touristiques parisiens.
Le stade, pour qui ?
Toutefois, qu’en est-il de l’espace de pratiques et de relations, essentiel à la définition du quartier ?
De l’héritage industriel, c’est un quartier aujourd’hui particulièrement minéral, s’inscrivant dans un présent contemporain, globalisé et financiarisé, fruit du marché des promoteurs. Rapidement, ces opérateurs privés se sont intéressés au site grâce au prix raisonnable du foncier implanté dans une zone proche de paris, bien desservie et dotée d’une adresse internationale : le stade de France. L’appropriation du stade demeure de la dimension symbolique de par sa pratique ponctuelle et exceptionnelle. Ce quartier ex nihilo est le fruit de la mise en œuvre du stade, devenu depuis une adresse, un lieu de destination ponctuel. Aussi un ovni posé sur une grande plaque de béton déserte, coincé entre un linéaire de Quick, Décathlon, banques, deux autoroutes et le canal de Saint Denis.

[1] Propos issus de : LE STADE DE France À SAINT-DENIS : GRANDS ÉQUIPEMENTS ET DÉVELOPPEMENT URBAIN, Le devenir des banlieues rouges, L’Harmattan, par Bacqué (Marie-Hélène) 1997.
[2] Authier (Jean-Yves), LES CITADINS ET LEUR QUARTIER, Enquêtes auprès d’habitants de quartiers anciens centraux en France, 2008
[1] Explique Aymeric Zublena, architecte du Stade de France dans l’article : Le défi : intégrer un stade dans la ville Le Figaro Magazine,10 mars 2012
[2] Lévy (Jacques), Lussault (Michel), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, 2003, p. 364.
[3] Ascher (François), Métapolis. Ou l’avenir des villes. Capitulo 7. Ed. Odiloe Jacob, Paris, 1995
[4] Pinson (Gilles), PROJETS DE VILLE ET GOUVERNANCE URBAINE, Pluralisation des espaces politiques et recomposition d’une capacité d’action collective dans les villes européennes, 2006
[5] Authier (Jean-Yves), LES CITADINS ET LEUR QUARTIER, Enquêtes auprès d’habitants de quartiers anciens centraux en France, 2008