En se penchant sur une carte du territoire français, nous pouvons recenser un grand nombre de villes nées selon des impératifs de défense et qui abritent aujourd’hui encore des éléments d’architecture militaire (citadelles, bastions, murailles, casernes, etc.) en particulier aux frontières et sur les côtes. Verneuil d’Avre et d’Iton en fait partie puisque construite de toute pièce au XIIème siècle par les anglais le long de la rivière de l’Avre pour défendre la Normandie alors sous le contrôle du Royaume d’Angleterre.
Ancienne place forte médiévale durant la guerre de Cent ans, elle fut miraculeusement épargnée par les bombardements de 1944. Ville rurale de 8000 habitants, elle était au Moyen-Age la seconde ville de Normandie en population derrière Rouen avec ses quelques 14 000 habitants. Le tissu urbain de Verneuil d’Avre et d’Iton se caractérise en premier lieu par un centre ancien, vieux de neuf siècles et dont la trame d’origine a été conservée. La vieille ville, entourée de ses anciens remparts encore debout sur une partie est un élément majeur de l’identité communale.
Au-delà de leur aspect symbolique, ces ouvrages sont marqués par des caractéristiques spatiales hors-normes en terme de localisation, de dimension et de géométrie. Bien que les fonctions défensives à l’origine de ces fortifications soient peu à peu tombées en désuétude, ceux-ci sont ancrés dans les tissus urbains de la ville. Parfois même, alors qu’ils ont été en partie détruits, leur présence continue de se révéler dans la trame urbaine de Verneuil (talus, douves, fossés, résidus de murs, implantations du bâti, etc). Comment expliquer cette perte de population entre le Moyen Âge et l’époque contemporaine? les fortifications : obstacle difficile à contourner ou franchir ou atout pour la ville et son développement?
Une situation stratégique entre deux royaumes ennemis
A la création du Duché de Normandie, en 911, la rivière Avre marque la frontière entre le duché et le royaume de France. La défense de cette frontière fut un enjeu constant pour chacun des deux partis, d’où la création de châteaux. Mais avec la conquête de l’Angleterre par Guillaume Le Conquérant, la Normandie appartient dès lors aussi au roi d’Angleterre, alors qu’elle relevait, selon le traité de Saint-Clair-sur-Epte, du royaume de France. D’où une série de conflits entre les deux pays. La défense de la frontière avec la construction de places fortes devient une priorité pour les deux camps ennemis. Comme l’explique Marsel Roncayolo dans le livre «la ville et ses prémices», la ville est le lieu du «contrôle territorial», c’est à dire que le choix d’implantation d’une ville est souvent liée à la conquête des territoires où la défense. Dans ce contexte, Verneuil d’Avre et d’Iton est créée de toutes pièces au XIIe siècle par Henri Ier Beauclerc, fils de Guillaume le Conquérant, Duc de Normandie et Roi d’Angleterre le long de la frontière physique entre les deux royaumes.

Manuscrit de Martial d’Auvergne, Les Vigiles de Charles VII, vers 1484, BnF,
département des manuscrits
Dès sa fondation la ville devient un enjeu constant des Anglais et Français qui se l’arrachent, la détruisent et la renforcent, en témoigne les nombreux sièges que la ville a connu dans son histoire et la construction d’un vaste système de défense surmonté d’un imposant château fort faisant face à la France. Le fait le plus marquant est sans doute la bataille de Verneuil, le 17 Août 1424. C’est un événement majeur de la guerre de Cent Ans mais aussi l’un des plus méconnus. C’est en effet un désastre pour l’armée française puisque de nombreux grands seigneurs du royaume de France et leur armée y perdent la vie, entraînant une déstabilisation du pouvoir politique et militaire. Cette lourde défaite entérine l’invincibilité de l’armée anglaise à l’époque. Néanmoins, la ville de Verneuil sera reprise aux anglais en 1449 et la ville perdra peu à peu son influence territoriale lorsque la Normandie entrera définitivement à la fin du conflit dans le royaume de France.
Un important système défensif et hydraulique

La ville est entourée d’un système fortifié conçu en même temps que les bourgs. Il est composé d’une enceinte doublée d’un large fossé, se rattachant à un château fort imposant de long de l’Avre. Trois bourgs sont présents à l’intérieur de l’enceinte fortifiée. La division historique du centre-ville en trois quartiers se lit encore actuellement dans le paysage urbain. Le plus important est le «bourg la Reine», le quartier commerçant de la ville, organisé autours de la place du marché et de l’église de la Madeleine et sa tour de 55 mètres de haut qui domine le pays de Verneuil. Par ailleurs, de nombreux canaux intérieurs circulent dans l’espace enclos. Fossés et canaux sont alimentés par les eaux, non pas de l’Avre que Henri Ier jugeait peu sûre, mais par celles de l’Iton plus au Nord. Un « bras percé » de 10 km environ fut en effet creusé, se jetant enfin dans l’Avre à la sortie de la ville. L’eau avait donc un rôle extrêmement important pour le fonctionnement de la ville : elle avait d’une part un rôle défensif avec la présence de douves devant le rempart, et d’autre part elle avait un rôle nourricière puisque les canaux intérieurs servaient à irriguer des espaces agricoles situés au centre de l’enceinte, la superficie de la ville fortifiée étant très importante pour l’époque.

Schéma de la place forte et du site –
VILLAGE ET VILLE AU MOYEN ÂGE, Les dynamiques morphologiques, Bernard Gauthiez, Presses universitaires François-Rabelais, 2003
Schéma morphologie du rempart –
VILLAGE ET VILLE AU MOYEN ÂGE, Les dynamiques morphologiques, Bernard Gauthiez, Presses universitaires François-Rabelais, 2003
Deuxième ville de Normandie au Moyen Age devant Caen et Evreux et derrière Rouen, elle s’est endormie progressivement après le conflit franco-britannique en devenant une ville de moindre importance du fait de la perte de sa position stratégique de ville-frontière. Elle a depuis perdu des habitants, en se rétractant longtemps dans ses murailles, avant de croître de nouveau extra-muros avec l’arrivée du chemin de fer et la construction du quartier de la Gare au XIXème siècle au nord. Fais surtout de silex et de grison, la pierre locale, les remparts seront détruits en partie au XVIIIème siècle et la pierre réutilisée pour d’autres constructions tel que les soubassements des maisons de la ville, la construction de châteaux dans la région, l’extension de l’abbaye Saint Nicolas au cœur de la ville historique, etc. Le linéaire de rempart étant considérable, cela devient un commerce important pour la ville à l’époque. Quelques vestiges sont encore visibles aujourd’hui en particulier autours de l’abbaye au sud de la ville, rachetés par les nonnes bénédictines pour ceinturer le site en vase-clos. Néanmoins leur présence continue à se révéler avec les talus et les larges fossés en eau ceinturant le centre historique et qui structurent physiquement la ville encore aujourd’hui.

Le rempart, un obstacle et un atout pour la ville aujourd’hui
Les remparts font aujourd’hui figure d’obstacles difficiles à contourner ou franchir entre les quartiers périphériques, marqués par la construction de lotissements pavillonnaires et l’étalement urbain, et le centre historique commerçant et dynamique, et qui perd progressivement sa population. Le centre-ville est enclavé, largement adapté à la voiture, en témoigne la place principale qui accueille le marché forain hebdomadaire mais qui le reste de la semaine est un immense parking. Le patrimoine bâti exceptionnel n’est que peu mis en valeur (l’activité touristique faible en atteste, c’est pourtant la seconde ville de Normandie après Rouen avec le plus grand nombre d’ouvrages classés). De plus, les liaisons piétonnes sont peu aisées entre le centre, qui compte seulement 6 portes, et les quartiers périphériques. Néanmoins, le centre reste dynamique et attractif contrairement aux communes voisines touchées par la désertification commerciale. Ce dynamisme s’explique par le rôle structurant des anciennes fortifications qui, malgré l’enclave et la difficile desserte piétonne qu’elles induisent, le cœur historique est tenu, identifiable, protégé, ce qui est un atout indéniable pour Verneuil d’Avre et d’Iton.

un repère pour la ville et ses alentours
Pour conclure, la croissance de l’urbanisation des quartiers périphériques accentue l’idée d’entre-deux, un espace de tension et de transition entre la centralité urbaine que constitue historiquement le cœur et les nouvelles centralités urbaines qui émergent au delà des remparts. Ils constituent en effet un vivier patrimonial et une emprise foncière importante qu’il s’agit de réintégrer à la ville en devenant non pas une contrainte mais une opportunité pour l’aménagement urbain futur de Verneuil d’Avre et d’Iton. Comment l’héritage des fortifications peut-il aujourd’hui être mobilisé afin de créer du lien, des continuités urbaines et des usages nouveaux pour Verneuil, entre le dehors désorganisé, lâche et inégal et le dedans organisé, compact et actif?
Beaux dessins !
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Love your drawings!!
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Un plaisir pour les yeux !
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