De la ville représentée à la ville planifiée : le rôle de la cartographie

Source . Site proactive

Villes et cartes ont toujours été intrinsèquement liées. Pour appréhender son territoire, l’homme doit se repérer, le connaître et le projeter.

« AU CENTRE
Et si l’usage d’une carte était l’invariable témoin d’une mise à mal de la conscience? Le voyageur égaré et l’évanoui revenu ont en commun la même phrase, où suis-je?, dont on ne sait si elle est une question ou un constat.
Je suis perdu, j’ai perdu connaissance, je suis au milieu d’un territoire que borne l’horizon, j’en parcours du regard la circonférence, je suis le pivot d’un monde dont je ne sais rien, qui reste étrange et auquel je suis étranger. Où que je sois, l’horizon m’entoure et je suis au centre, souverain impuissant. Je me retrouve avec la carte, et le temps que je mets à identifier ma situation correspond à l’écart entre le lieu central du territoire et le point indifférent de la carte. Donc je me retrouve mais au prix de perdre ma centralité. Pour me remettre en marche, je dois abdiquer ma souveraineté.
[…]La carte est un langage qui donne consistance à mon corps, elle lui donne un lieu, le réveille, et lui fait reprendre la route. »

Jean-Loup Rivière,  » CARTES ET FIGURES DE LA TERRE « , Centre Georges Pompidou, 24 mai-17 novembre 1980, p.67.

Qu’est-ce qu’une carte ?

Les définitions dans leur ensemble mettent en avant le fait que la carte est une représentation, finalement plus ou moins réaliste, d’un espace donné. Elle nous permet de nous repérer, de comprendre notre territoire ou encore de l’analyser.
Cependant, la carte comporte bien des nuances et existe sous de nombreuses formes. Loin d’être un modèle fini et absolu, elle peut se décliner à l’infini. Sa subjectivité lui permet d’être unique tout en étant plurielle : une carte n’est pas comparable à une autre bien qu’il en existe une infinité. Cadrage, point de vue, échelle, graphisme et thèmes sont autant de critères choisis et variant.
Ainsi, une carte ne représente pas l’espace terrestre tel qu’il est mais quelques aspects et phénomènes choisis qui y figurent (matériels et abstraits). Elle peut également illustrer des espaces imaginaires comme les cartes-romans du monde des sentiments «carte de Tendre» à l’aspect métaphorique ou encore, l’Atlas du roman européen de Franco Moretti qui insère la géographie dans son récit comme une base indispensable.

C’est dans l’antiquité grecque avec le concours d’Eratosthène, Hipparque et Ptolémée que la cartographie se développe et devient un réel outil. On commence alors à faire la représentation des territoires et empires pour générer les premiers « guides » du monde connu. Au IVème siècle, la table de Peutinger montre que la carte n’est plus uniquement la représentation « juste » de l’espace que l’on traverse. Il s’agit ici d’assumer un rôle pédagogique en livrant des informations essentielles aux voyageurs pour chevaucher de ville en ville.
D’un outils de représentation, la carte est passée, en plusieurs siècles, à un outils d’information.

De l’urbanisme traditionnel à la planification des villes

L’urbanisme traditionnel du Moyen-Âge est dicté par des considérations plus immédiates que l’aménagement, à proprement parler, de la ville. Il est insufflé par les usages, la culture et les traditions de son temps et limité par les progrès techniques de son époque. Cette période, en rupture avec les remarquables avancées constructives et organisationnelles antiques, semble souffrir d’un défaut de mémoire et ne construit son territoire que pour palier aux besoins immédiats, sans souci de projection à long terme.

La carte est alors utilisée pour représenter la ville dans son ensemble et pour s’y repérer. On regarde l’échelle de la ville et non plus seulement celle de la parcelle. Le rôle informationnel est prédominant comme en attestent le plan de Paris de Braun et Hogenberg daté du début du VIème siècle puis celui de Truschet et Hoyau un demi-siècle plus tard. La succession de ses plans est alors semblable à des mises à jour du territoire bâti parisien qui se transforme.

Sources . (haut) Plan de Paris Braun & Hogenberg 1530, (bas) Plan de Paris Truschet & Hoyau 1552

À la fin du siècle, l’outil cartographique est mis au service de la représentation subjective de la ville : elle valorise les éléments prédominant de la culture et des usages de l’époque. Édifices religieux, lieux de prestige, de pouvoir et ouvrages de génie civil (ponts, enceintes…) sont alors représentés avec exagération pour afficher la puissance de la ville et des forces dirigeantes en place. La cartographie relève ici davantage d’une politique de «propagande» que pédagogique : on représente le faste, la grandeur et l’autorité.
La carte de Claude Chastillon datée de la fin du VIème siècle et le plan de Mérian du début du VIIème siècle sont tout à fait comparables aux « giant coloring XXL » ou aux cartes touristiques contemporaines visant à indiquer aux usagers les lieux parisiens emblématiques.

Sources . Carte de Claude Chastillon, Plan de Mérian, Giant coloring XXL, Carte touristique

« On utilisait également les cartes pour aligner les rues existantes et créer des quartiers entiers. Grâce aux cartes, architectes, urbanistes et administrateurs pouvaient désormais concevoir et exécuter des plans visant à modifier la forme des villes. »
Giulio Macchi,  » CARTES ET FIGURES DE LA TERRE « , Centre Georges Pompidou, 24 mai-17 novembre 1980, p.305.

C’est durant le XIXème siècle que la carte change radicalement de rôle. Elle est désormais mise au service de la projection du territoire. On parle de cartes intervenantes, qui ne se limitent plus à représenter ou renseigner le territoire présent mais permettent de créer, en superposition d’un fond acquis, une nouvelle couche de la ville qui n’existe que dans l’esprit des hommes qui l’envisagent. La carte dessine une intervention potentielle et permet aux « projeteurs » du territoire, que l’on nommera bientôt urbanistes, de développer une action sur la ville, anticipée et maîtrisée, en toute conscience des conséquences générées.

Au milieu du XIXème siècle, Haussmann effectuera les grands travaux de Paris grâce à cette vision d’ensemble de la capitale, à l’époque en sursis. En 1860, le plan d’embellissement de la ville de Barcelone, proposé par Cerda, permettra de quadrupler la superficie de celle-ci en une seule grande planification du territoire. Ces exemples, parmi les plus connus, illustrent tous deux le changement de paradigme de la carte qui devient un outil d’action sur la ville et traduit le basculement d’un urbanisme traditionnel à un urbanisme planificateur.

Vision prospective

Il est intéressant de constater que la carte s’est réinventée et démocratisée au fil du temps pour répondre à nos besoins contemporains.
Le développement des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication), illustrés par François Asher dans « Les nouveaux principes de l’urbanisme », ont radicalement changé notre rapport à la carte et à l’urbain : la ville « réelle » fait aujourd’hui face à la ville « virtuelle », infinie dans l’espace et le temps. La carte, accessible partout, intelligible par tous et participative, transforme notre relation à la ville tout en accélérant sa transformation.
Analytique, informative, représentative et planificatrice, la carte est donc, encore aujourd’hui, un outil essentiel pour l’urbaniste : tantôt pour connaître, communiquer et problématiser les phénomènes territoriaux, tantôt pour anticiper et planifier les réponses urbaines nécessaires aux enjeux rencontrés.

Cependant, si l’on regarde de plus près l’étymologie du mot carte notamment de la « map » anglaise issue du latin « mappa » et désignant une serviette de table ou une étoffe, l’intuition que la carte est plane reste encore aujourd’hui très présente.
Alors, qu’adviendra-t-il de la carte, spécialisée et subjective, à l’ère de la modélisation en 3 dimensions et en temps réel (iBIM, réalité virtuelle comme «Rome reborn» ou visites virtuelles du Colisée, réalité augmentée proposée par Google Map etc…) ?

Source . Getyourguide_visite virtuelle du Colisée

Noémie Mallet_26.09.2019

Bibliographie

« CARTES ET FIGURES DE LA TERRE », Exxposition au Centre Georges Pompidou, 24 mai-17 novembre 1980.

François Asher, « Les nouveaux principes de l’urbanisme suivi de lexique de la ville plurielle », édition de L’Aube, 2013.

« Un projet fait renaître les splendeurs de la Rome antique en réalité virtuelle », AFP Infos Française, 21 novembre 2018.

2 commentaires

  1. Le sujet de l’évolution de l’outil cartographique est passionnant ! Connais-tu l’outil Carticipe ou Débatomap’ ? (https://carticipe.net/)

    Dans le cadre de réalisation de PLUi, certaines villes ont fait le choix de diversifier les outils de concertation proposés aux habitants, par exemple l’outil Carticipe. Il permet à tout les habitants et usagers d’annoter une carte participative interactive en proposant des idées/des orientations/ des envies/des sentiments pour contribuer à la planification de la ville.

    Un exemple : le Carticipe d’Avignon 2030 : http://inventons-avignon-2030.carticipe.fr/#

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  2. Effectivement je connaissais la démarche participative mais je n’avais pas eu l’occasion de voir sa mise en oeuvre. Merci beaucoup pour ces liens, c’est très intéressant!

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