Le projet urbain face aux risques

Dans la nuit du 26 septembre 2019, Rouen se réveille en catastrophe. Des explosions retentissent dans le centre. Des odeurs chimiques et nauséabondes s’insinuent au travers des aérations des logements. En cause, un incendie qui ravage l’usine chimique Lubrizol et l’entreprise Normandie Logistique, sur la rive gauche de la ville. Un impressionnant panache de fumées noires obscurcit alors le ciel rouennais. Des maux de têtes, des quintes de toux et des sensations d’irritations des voies respiratoires plongent la ville dans la panique. Des questions taraudent les esprits. La fumée est-elle toxique ? Comment dois-je protéger ma famille ? Où sont les autorités ? Il aura fallu à ces dernières, huit jours pour publier les probables polluants présents dans l’atmosphère, organiser une conférence de presse et déclarer la non toxicité des produits partis en fumée.

« Un impressionnant panache de fumées noires obscurcit le ciel rouennais »

Cependant, entre-temps, l’indignation et la méfiance avaient gagné les esprits des citoyens. Comme le résume, Stéphane Martot, élu de l’opposition à la Ville de Rouen : « Même si l’on savait que c’était un site dangereux, on pensait être à l’abri. (…) C’est pour ça qu’aujourd’hui il y a un sentiment de trahison dans la population ». Cet incident, singulier, survient peu de temps après l’annonce faite par la Mairie et la Métropole concernant le lancement du projet urbain de l’éco quartier Flaubert. « Un éco quartier calme et vivant », qui « répondra aux hautes exigences environnementales. « Un écosystème effervescent » de 90 hectares devant accueillir « 6 000 habitants », « 2 500 logements » ainsi que « 5 000 créations d’emplois ». Malgré une programmation prometteuse pour l’attractivité de la ville, ce projet est aujourd’hui remis en question au regard de son implantation très proche du site industriel Lubrizol incendié.

Cette expérience démontre alors la difficulté française actuelle à promouvoir un urbanisme adapté aux conditions locales. Elle met en exergue la vulnérabilité de notre société face à différents types de risques notamment technologiques mais aussi climatiques et environnementaux. Ainsi, ce constat rappelle une la posture de Nadia Arab : « les crises sociales et environnementales (…) rendent plus visibles l’interrogation sur ce qu’il faut faire, la manière de le faire, et avec quelles conséquences ». De ce fait, une question légitime apparaît : quel est le rôle du projet urbain face aux risques ?

La question de la résilience

Face à cette question, depuis une dizaine d’années, les politiques et les aménageurs ont souhaité le développement d’une ville dite « résiliente » face aux risques. Afin de cerner les enjeux des termes utilisés, il vous est proposé un temps de définitions. D’une part, le risque peut se définir comme « la réalisation aléatoire d’un danger dont les effets se font sentir sur la société et sur un territoire vulnérable » (Donze, 2007). D’autre part, la résilience est davantage perçue comme « la capacité des communautés humaines à supporter les chocs ou les perturbations externes et à se relever de telles perturbations » (Adger, 2000).

Cette dernière définition peut prêter à confusion. En effet, l’un des enjeux fondamentaux des politiques publiques est la sécurité des individus. Cependant, au travers de la résilience, il est possible de percevoir une notion d’exposition au risque volontaire mais maîtrisée. Cette ambiguïté trouve son origine dans l’émergence de nouveaux enjeux contemporains notamment la densification et la limitation de l’urbanisation. De ce fait, l’objectif est dorénavant de « habiter les zones à risques ».

Depuis les années 80, pour répondre à cet objectif, l’Etat Français a renforcé la gestion des risques et leurs préventions grâce à un arsenal varié d’outils réglementaires par exemple : le DICRIM (Document d’Information Communal sur les Risques Majeurs) ; le DDRM (Document Départemental sur les Risques Majeurs) ; le DCS (Dossier Communal Synthétique) ; le fichier Information Acquéreur-Locataire ; le PLU (Plan Local d’Urbanisme) ; le PPR (Plan de Prévention des Risques) ; le PCS (Plan de Sauvegarde Communal). Plusieurs acteurs sont responsables de l’actualisation et de la diffusion de ces outils, par exemple, les communes, les intercommunalités, les directions départementales des territoires (DDT), les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), etc.

A l’échelle d’un projet urbain, la question de la résilience est traitée de manière technique. Ainsi, l’objectif premier est de répondre aux différentes cadres réglementaires imposés par la législation. Plus récemment, des innovations apparaissent par exemple, pour le quartier des Isles à René, dans l’agglomération de Nantes. Sur ce site, l’intégration du risque inondation s’est notamment basée sur un travail à deux niveaux. Les équipes de maîtrise d’œuvre ont travaillé à l’augmentation des capacités d’absorptions des crues et à l’aspect fonctionnel des logements lors d’une montée de la Loire.  

La résilience en question

« La résilience est une réponse prometteuse face aux difficultés rencontrées dans la gestion du risque en milieu urbain, mais les conditions de son utilisation et sa pertinence dans un cadre opérationnel doivent être questionnées » (Reghezza et al., 2012). Ainsi, si l’on reprend l’exemple de la catastrophe de la ville de Rouen, au-delà de la réglementation et de la technicité, il est possible d’observer que la problématique soulevée par les citoyens est aussi d’ordre institutionnelle. En effet, il est possible de mettre en exergue un manque de communication et d’acculturation aux risques auprès des populations.

D’autre part, pour le projet du quartier des Isles de Rezé, Sylvain Dournel, Mathilde Gralepois et Johnny Douvinet font le même constat. Alors que les efforts sur les aménagements et l’architecture sont exemplaires, la communication auprès des habitants se concentre sur les espaces végétalisés qui deviennent seulement une valeur ajoutée pour la qualité du cadre de vie. L’information sur le risque inondation, sur les innovations et sur les procédures de limitation des dégâts en cas de crue n’est pas transmise.

Dans le cadre de la campagne « Making Cities Resilient », l’UNISDR insiste sur la part non négligeable de l’éducation, de la pédagogie, de la participation, de l’information et de la communication pour améliorer la résilience d’un territoire. De ce fait, le projet urbain a alors toute légitimé pour être porteur de cette nouvelle démarche. En effet, il est nécessaire de sortir d’une logique de l’urbanisme moderne fondée uniquement sur la rationalité et la technique. L’enjeu est de pouvoir co-concevoir la résilience des territoires avec plusieurs acteurs notamment avec les citoyens.

Conclusion

Cet essai avait pour objectif de démontrer les limites de l’application opérationnelle de la notion de résilience dans les projets urbains. Des pistes d’explorations sont observables à l’échelle nationale, par exemple à Saint-Etienne, où les services municipaux ont lancé un projet de communication innovant concernant le risque inondation.

Pour conclure, retenons l’affirmation de Bruno Barroca, de Maryline DiNardo et d’Irène Mboumoua, « le discours sur la résilience ne devrait pas se réduire à un ensemble de règles de conduites ou encore à une liste de réflexes à acquérir pour réduire sa vulnérabilité lors de la survenance des événements. Il pourrait au contraire être plus proche de la dynamique du risque et chercher dans les pratiques, dans les positionnements, dans la compréhension des enjeux et des organisations ce qui pourrait améliorer la gestion du risque ».

Sources

Sylvain Dournel, Mathilde Gralepois et Johnny Douvinet, « Les projets urbains en zones inondables communiquent-ils sur les risques ? », Belgeo [En ligne], 1 | 2015, mis en ligne le 30 mars 2015, consulté le 15 octobre 2019. URL http://journals.openedition.org/belgeo/16691 ; DOI : 10.4000/belgeo.16691

Bruno Barroca, Maryline DiNardo et Irène Mboumoua, « De la vulnérabilité à la résilience : mutation ou bouleversement ? », EchoGéo [En ligne], 24 | 2013, mis en ligne le 10 juillet 2013, consulté le 15 octobre 2019. URL  http://journals.openedition.org/echogeo/13439 ; DOI : 10.4000/echogeo.13439

Faytre,L & AUDIAR. La prise en compte de l’inondation dans l’urbanisme et l’aménagement du territoire. Sciences eaux et territoires n°23. 2017

Clara Osadtchy, « Mobilisations et conflits liés à la maitrise de l’urbanisation autour des industries à risque », Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 23-24 | 2014, mis en ligne le 01 décembre 2014, consulté le 25  octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/tem/2618 ; DOI : 10.4000/tem.2618

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