par Sarah Ayoub.

Dans son livre « the image of the city » Kevin Lynch introduit le concept de « legeabilty of a city » c’est-à-dire la lecture de la ville, et pour cela, il propose l’analyse de trois éléments : l’identité, la structure et la signification. Pour une meilleure lecture de l’urbanisme moderne à Beyrouth, je vais me baser sur ces trois éléments en passant par les phases urbaines qu’a subies la ville et qui ont fait d’elle une ville en perpétuelle mutation.
L’urbanisme moderne :
Pour Beyrouth les années qui suivirent la chute de l’empire ottoman, firent décisives et constructives sur le plan urbain et architectural et ce à cause de l’arrivée du mandat français au Liban dans les années 20. Très vite, les français voulurent changer l’identité ottomane de Beyrouth et effacer les “tonzimat”[1] faits par les Turcs, afin de proclamer Beyrouth capitale des pays sous mandats.

Les acteurs du changement dans cette époque, sont les urbanistes Français et les architectes libanais spécialisés dans les grandes écoles françaises.

Sarah Ayoub, Juin 2019.
L’âge d’or de l’urbanisme postmoderne au Liban était dans les années
60s, avec la montée des architectes libanais
comme Joseph Philipe Karam, auteur de
Beyrouth city centre, un hub commercial
et culturel au centre de la ville et
dont il ne reste, après la guerre, que
le théâtre en forme d’un œuf, connu aujourd’hui sous le nom « The Egg ».
Ce vestige est un grand symbole du modernisme libanais. A cette époque, l’identité
de la ville commence à se définir. C’est
une Identité multiculturelle due à la stratification des différents acteurs qui ont été impliqués dans la
fabrication de la ville.

« https://www.the961.com/amp/the-egg-war-beaten-ruin-downtown-beirut
[1] Tonzimat, les régulations urbaines qu’a imposées l’empire ottoman pour « reformer » Beyrouth.
L’urbanisme de la Guerre Civile ou le désurbanisme :
Les acteurs dans cette période de l’urbanisme libanais étaient les milices qui ont divisé le territoire, et l’ont découpé pour faire le désurbanisme.
En effet, la proximité des bâtiments de l’urbanisme moderne dans la ville de Beyrouth était en faveur des citoyens, ils ont créé des trous dans les entrées des immeubles résidentiels, pour passer en cachette d’un immeuble à l’autre, et ce, pour se protéger des tirs des miliciens.
Ensuite, les milices ont imposé une ligne de démarcation, la « ligne verte » dessinée pour diviser le terrain Libanais entre Chrétiens et musulmans.


Post Modernisme :
La guerre civile a entrainé une dichotomie urbaine et esthétique entre les quartiers chrétiens et les quartiers musulmans. Le plan urbain à Beyrouth, est désormais la fusion entre le plan moderne des années 20 à 60 et celui établi par les miliciens pendant la guerre.

Plan et typologie de l’urbanisme après mandat Français.
Sarah Ayoub, Juillet 2019

Le post moderne à Beyrouth, est venu en tant que réponse à une désurbanisation qui a déstabilisé les bases d’une ville moderne. C’est aussi une réponse hâtive issue d’une volonté à faire peau neuve, et donner une image réductrice renvoyant à la classe bourgeoise. En effet, en dessinant les plans du centre-ville de Beyrouth, la société foncière privée SOLIDERE[1], a négligé le côté fonctionnel du plan urbain ; surtout sur le niveau de la mobilité, c’est-à-dire, le centre n’est pas desservi par les transports en public (tel que le bus ; et on n’a même pas pensé d’adapter la ville à un train/tram futur).

Le manque d’espaces publics dans une ville qui mise beaucoup sur l’apparence a poussé les gens à l’éviter, et à fréquenter les quartiers de Beyrouth qui répondent aux besoins de toutes les classes sociales. Les prix flambants dans l’immobilier ont fait du centre-ville une ville fantôme. Ainsi, les immeubles sont érigés sous une politique d’attractivité pour les investisseurs, sans prendre en considération les aspirations du peuple. Par ailleurs, la structure urbaine est flagrante mais dépourvue d’une signification.
Révolution d’Octobre 2019.
Pendant les manifestations, les acteurs de l’urbanisme sont les citoyens. Ils
ont changé la configuration urbaine de Beyrouth en bloquant les routes, dans la
place des martyres, place mal aménagée par SOLIDERE , qui a perdu sa signification
d’espace public, et qui maintenant a retrouvé sa fonction , comme « cultural
hub » où l’on trouve plusieurs tentes qui ont pour but de semer l’éveil
politique parmi les gens. De plus, des tentes pour profs d’université, ont été dressées
pour des conférences et des séminaires. Certains grands équipements appartenant à l’époque
moderne de Beyrouth comme « the egg » et l’opéra, ont été squattérises
et occupés par des manifestants qui organisaient des activités culturelles.
Avec le changement de configuration de la place des martyres et le blocage des
routes dans Beyrouth, on a pu démocratiser la ville. Ainsi, Beyrouth retrouva
sa signification
d’avant-guerre, grâce à la détermination des citoyens.

Photo, Sarah Ayoub, 28 Octobre 2019.

23 Octobre 2018.
Compte instagram: @mesh_ghalat
Enfin l’image de la ville est façonnée non pas par un courant urbain/architectural mais aussi et surtout par les citoyens qui tiennent à exprimer leurs aspirations et donnent une âme à l’espace urbain. Ainsi, selon Kevin Lynch « l’Image de la ville » devient ancrée dans la mémoire quand ces trois éléments sont présents :
L’identité: pluriculturelle.
La structure : plans modernes des urbanistes français et libanais pour faire une nouvelle réforme urbaine.
Signification : les citoyens qui imposent
leur empreinte dans la ville « postmoderne »

Sarah Ayoub, 28, Octobre 2019
[2] Solidere société foncière privée qui avait pour but de reconstruire Beyrouth et la placer à une échelle internationale,