Quelle est la place de l’urbanisme transitoire dans la politique culturelle de Plaine Commune ?

L’urbanisme transitoire ou comment habiter les nouvelles temporalités

On assiste durant les années 2010 à la naissance d’une forme d’occupation des espaces vacants. Parfois qualifié d’urbanisme transitoire, temporaire, éphémère, ou encore intercalaire, les friches et autres espaces en attente sont aujourd’hui investis par différentes formes d’animation : culturelle, artistique, ludique,… mais le tout avec l’accord les propriétaires des lieux. 4 facteurs ont favorisé l’émergence de cette nouvelle pratique :

  • le renchérissement continu du prix de l’immobilier en Ile-de-France, entraînant un coût de portage du foncier de plus en plus élevé,
  • l’allongement de la durée des projets urbains, laissant les terrains en attente d’une intervention future,
  • la nécessaire adaptation des acteurs, publics et privés, face au bouleversement du jeu d’acteurs dans l’aménagement,
  • et l’essor des technologies numériques, permettant une communication et une mise en relation avec le public plus efficace.

Plaine Commune réunit les conditions idéales pour l’expansion de la pratique : un grand nombre d’espaces vacants ou en attente de projet, du fait de la désindustrialisation, un foncier abordable mais proche de Paris ; et une bonne desserte en transport confortée par les projets d’extension futurs. En 2012, 62 sites d’occupation temporaire ont été recensés en Ile-de-France par l’IAU, dont 22 opérations dans le département de la Seine-Saint-Denis [1].

Le 6b à Saint-Denis : occupation d’un ancien immeuble industriel sous la forme d’un tiers-lieu culturel collaboratif et d’espaces festifs ouverts au public. Le statut du lieu a récemment évolué vers une SCIC
(société coopérative d’intérêt collectif)
Source: Le JSD, Yann Mambert

Ces facteurs cumulés ont contribué à une inflexion chez les grands propriétaires sur l’usage de leurs terrains vacants. Ces acteurs institutionnels confient les clés à des associations ou à des collectifs pluridisciplinaires qui se chargent d’ouvrir le site au public et d’animer les lieux. Parmi les organismes les plus enclins à mettre en œuvre un urbanisme transitoire, on compte aussi bien des EPIC (comme la SNCF), des acteurs publics, que des acteurs privés (promoteurs immobiliers). Il est loin le temps des squats et occupations illégales. L’enjeu est triple pour ces acteurs : cela leur permet dans un premier temps d’éviter le conflit avec d’éventuels occupants indésirables, mais également de diminuer les coûts de gardiennage de leurs sites grâce aux collectifs présents sur les lieux ; et enfin, ils bénéficient d’une visibilité importante susceptible d’apporter une plus-value au bien en question.

Il est intéressant d’observer que cette pratique a amené une nouvelle réflexion sur la manière d’habiter le temps. Dans une perspective plus large, les occupations temporaires s’inscrivent dans le « everyday urbanism » identifié par Douglas Kelbaugh, à travers la montée en puissance de ces initiatives bottom-up et empiriques. Elles cherchent à donner une plus grande place au citoyen, tout en s’appuyant sur le déjà-là, avec des moyens modestes. Ces collectifs s’immiscent donc dans la complexité de la production de la ville par l’interstice, prenant acte de « l’éphémère, la cacophonie, la multiplicité et la simultanéité »[2].

L’installation de Bellastock, qui travaille sur le réemploi en architecture, à la Fabrique du Clos (Stains) dans le cadre d’un projet de rénovation urbaine
Source : Bellastock

La culture au centre de l’agenda politique

Plaine Commune, et plus généralement la Seine-Saint-Denis, a longtemps été considérée comme le canard boiteux de la région parisienne. Elle cumule en effet les points négatifs : territoire désindustrialisé, fort taux de chômage et département le plus pauvre de la France métropolitaine. La création du Grand Paris en 2014 avec la loi MAPTAM a été l’occasion pour Plaine Commune de reconstruire son identité et son inscription au sein de la métropole. L’EPT a décidé de miser sur la culture pour développer son attractivité, en accord avec son patrimoine existant et son orientation politique. La signature du Contrat de développement territorial, en tant que de « Territoire de la culture et de la création » (2014-2024), marque l’aboutissement de cet engagement en faveur de la politique culturelle.

On voit en effet sur le territoire l’émergence progressive d’équipements culturels et touristiques : le théâtre Gérard Philippe (Centre dramatique national depuis 1983), l’académie Fratellini (2003), la Cité du cinéma (2012),… Au milieu de tout cela, les projets d’occupation temporaire germent et confortent la volonté des acteurs publics de mettre ce secteur en avant. Cette accumulation d’initiatives a permis l’hybridation de la politique culturelle, revendiquant une forte implication citoyenne. Elle permet également de valoriser l’histoire populaire et multiethnique de ces anciennes villes ouvrières, son tissu associatif important et son économie sociale et solidaire. Plaine Commune cherche donc à se différencier des autres EPT métropolitains, grâce à cette posture alternative qui prône « un développement innovant, mais aussi plus humain, plus équilibré, plus qualitatif »[3] avec une certaine économie des moyens.

Cet intérêt des politiques publiques pour l’art et la création connaît une croissance depuis les années 1990, le modèle de la « ville créative » représentant certainement la meilleure illustration. Le chercheur Giovanni Sechi [4] expose la manière dont la culture s’est installée dans les agendas politiques, grâce à son décloisonnement et à la transversalité possible qu’elle offre dans sa mise en œuvre. Elle peut s’intégrer aussi bien à l’économie, au transport, qu’à l’aménagement,…

« C’est un nouveau paradigme transversal pour l’action publique territoriale, construit en étroite collaboration avec les villes. »[5]

C’est bien dans cet esprit que Plaine Commune l’inscrit dans son CDT, en tant que vecteur de changement :

« L’ambition est de faire de la culture et de la création sous toutes leurs formes des marqueurs du territoire, des catalyseurs de ses énergies. »[6]

Il découle donc logiquement de ce choix que les initiatives d’urbanisme transitoire soient soutenues par les pouvoirs publics, lançant également un feu vert aux acteurs qui voudraient tenter l’aventure.

Un modèle réellement alternatif ?

Si les acteurs politiques ont mis du temps pour reconnaître les projets transitoires et pour prendre en charge leur régulation, les acteurs privés ont rapidement capitalisé sur ce procédé lucratif, qui s’appuie sur une demande croissante du public pour des espaces de travail et de loisirs. Le promoteur immobilier Quartus a par exemple racheté un site industriel désaffecté à Saint-Denis et y propose des espaces de travail, en attendant la réhabilitation par les architectes Reichen & Robert. A l’inverse des projets associatifs, Quartus prend les rênes du projet et a choisi le collectif Soukmachines pour animer les lieux. Ceux-ci sont des habitués du processus, déjà connus pour avoir occupé la Halle Papin à Pantin, de 2016 à 2019.

« L’Orfèvrerie by Quartus » : occupation temporaire des anciennes usines Christofle par des artistes,
triés au volet par le promoteur immobilier
Source : Enlarge Your Paris

L’institutionnalisation de l’outil s’accompagne également de la naissance d’une nouvelle catégorie professionnelle : les collectifs pluridisciplinaires. Ce champ de compétence est centré autour de l’animation, la médiation et l’accompagnement des propriétaires dans le processus. Dans un premier temps, on y retrouvait majoritairement des équipes issues de l’architecture et des métiers de la conception. Mais de plus en plus, de nouveaux secteurs investissent la question. A titre d’exemple, Plateau Urbain, la coopérative d’animation la plus connue dans le paysage francilien, est dirigée par des professionnels de l’aménagement, du commerce, du marketing et de la promotion immobilière. On retrouve néanmoins un point commun à tous ces acteurs : ils sont généralement jeunes et se servent de l’urbanisme transitoire comme tremplin professionnel pour leurs carrières, les projets étant généralement très médiatisés. La prouesse de ces collectifs réside dans leur force de proposition, réussissant à convaincre de nouveaux propriétaires de les laisser occuper leurs sites vacants.

Tanya Sam Ming


[1] DIGUET Cécile, ZEIGER Pauline. “Note rapide. L’urbanisme transitoire: aménager autrement”. IAU, 2017

[2] KELBAUGH Douglas. “Three urbanisms and the Public Realm”. ACSA International conference, 2001

[3] “Territoire de la culture et de la création. Contrat de développement territorial 2014-2030”. Plaine Commune, 2014

[4] SECHI Giovanni. “L’occupation temporaire des friches et des espaces publics : des politiques culturelles innovantes ?” in HURE Maxime et al. (Re)penser les politiques urbaines. Retour sur vingt ans d’action dans les villes françaises (1995-2015). PUCA, 2018

[5] “Plaine Commune, Territoire de la Culture et de la Création du Grand Paris : la culture comme moteur d’une fabrique implicative de la ville”. Agenda 21 de la culture, 2016

[6] Ibidem

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